En dépit des inquiétudes que le titre de cet article pourrait occasionner, soyez sans craintes. L’idée n’est pas ici de diaboliser le réseau social qui a su charmer le monde entier et encore moins de condamner le temps que nous pouvons y passer au lieu de nous consacrer à des choses jugées plus essentielles telles que la paix dans le monde ou la lecture de l’œuvre intégrale de Proust.
Non, il s’agit tout d’abord, sans le moindre jugement ou sermon hâtif, de réfléchir et de s’avouer ce qu’il est désormais impossible de nier : nous ne pouvons mener une vie sociale normale sans Facebook. Dorénavant, il est impossible de jouer la carte de l’anticonformisme en y renonçant sans que cela n’affecte au moins légèrement notre rapport aux gens, sans que cela ne nous exclue au moins un tout petit peu de l’équilibre des forces obscures et fragiles qui orchestrent notre rapport au monde. Nous sommes maintenant liés aux autres, à des divertissements, à des projets d’avenir et même à des fantasmes à travers les branches de Facebook, qu’on décide de l’accepter ou de fermer les yeux sur la question.
La question, justement, quelle est-elle ? Quel est le débat, ou plutôt y a‑t-il un débat ? Les regards ébahis qu’entraine le coming-out gênant des rares individus qui décident de manquer à l’appel du réseau virtuel suffisent à compromettre l’existence même de la question « Facebook ou pas Facebook ? ». Ainsi, si potentiel débat il y a, c’est au sein même du réseau qu’il faut aller le chercher, car si le côté pratique ou les vertus sociabilisantes de ce dernier ne sont pas à contester, il me semble qu’il existe tout de même un danger important qui est trop souvent mis de côté.
Au bout du compte, à force de placer vie sociale et amusement au-dessus de toute autre préoccupation, le monde selon Facebook a la fâcheuse tendance à faire émerger des tourments qui n’ont absolument pas lieu d’être. Contrairement à ce que son credo nous ordonnerait, il y a aussi un intérêt au temps passé seul et oui, manquer une soirée est une chose normale qui arrive même aux plus hypes d’entre nous. Voilà, ce qui me dérange avec Facebook, c’est à quel point le raté, la honte, le non-cool y sont niés et disparaissent sous les photos, les statuts, les « j’aime » sur un écran qui donne l’impression que tout est beau, facile et que la vie est un délire perpétuel. Tout y est sublimé, filouté par cette sorte de sacralisation virtuelle qui nous amène à questionner notre capacité à plaire et vivre selon des aspirations qui nous sont propres.
Non, mon objectif n’est pas de diaboliser la façon dont le géant bleu a conquis nos cœurs mais plutôt de le remettre gentiment à sa place. Le taquiner : voilà une méthode élégante et subtile de détourner la fierté avec laquelle il contemple notre vie sociale ou le domaine dont il est maintenant souverain, le bain public dont il est l’ultime maître-nageur. Il est bien trop tard pour le discréditer, mais il n’est pas trop tard pour le ramener à son statut de simple outil qui devrait seulement nous simplifier la vie au lieu de nous faire croire au caractère supérieur de choses qui ne durent pas. Il me semble qu’il faut garder à l’esprit qu’il est avant tout une surface, un terrain fertile aux illusions et aux faux-semblants. Il suffit de prendre un petit peu de distance pour se rendre compte qu’il n’est en fait pas grand-chose sinon le selfie de la vérité qu’il prétend refléter mais dont il peine à peindre l’extrême délicatesse.