Il s’appelle Peer Gynt, se cherche de par le monde depuis 1867 et foulait les planches du théâtre aux Écuries le 11 avril dernier. Après avoir monté Hamlet avec les étudiants du Collège International Marie-de-France il y a deux ans, le metteur en scène Julien Blais s’est dit qu’après « être ou ne pas être », la question à poser par l’acte théâtre lui semblait tout naturellement : « mais qu’est-ce qu’être ? » C’est la question de Peer Gynt, cet anti-héros en vadrouille, accueilli chez les Trolls où le mot d’ordre, « suffis-toi toi-même », règne sans scrupule.
Une pièce de collégiens qui part en tournée, c’est pour le moins inhabituel. Pourtant, ce n’est pas la première fois que Julien Blais entraîne ses jeunes comédiens dans une telle aventure. Tristan et Yseult avait été présentée à Paris, Hamlet à Ottawa et à Toronto et Peer Gynt se prépare à partir en tournée à Ottawa et à Chicago. Pour le metteur en scène, l’aventure théâtre n’est pas importante, elle est nécessaire. Il déclare lui-même faire du théâtre social, les questions qu’il permet aux comédiens d’incarner et de partager dans un contexte scolaire l’amènent à semer des graines, à transmettre, même s’il se défend de faire du théâtre didactique ou du décorticage littéraire.
La troupe de quatorze comédiens vous transporte dans son monde, enchainant des tableaux dont l’esthétique est signée M. Blais : lumière bleutée, toiles blanches tendues, projections et musique inquiétante. Le principal atout de cette pièce repose dans son chœur où l’élégance des déplacements rend perceptible le travail collectif. La coordination est étonnante, qui souligne davantage le propos de la pièce. Dans cette correspondance du fond et de la forme, on retrouve l’importance de faire partie du rouage collectif pour évoluer. Peer Gynt n’est pas un Troll, malgré son égocentricité, il a besoin des autres pour avancer tout comme les jeunes comédiens ont besoin les uns des autres pour mener à bien leur projet.
On ne peut pas rabâcher sans cesse l’importance du théâtre étudiant, au collège comme à l’université, sans rappeler le rôle qu’il joue dans la formation des citoyens de demain. Julien Blais dit remarquer le changement de tenue des étudiants qui font partie de la troupe de théâtre : « ils se tiennent plus droit, quelque chose s’est articulé ». L’expérience théâtre n’aurait pas seulement comme vocation de préparer la relève artistique, les comédiens professionnels de demain, mais surtout de donner à vivre une expérience extrêmement enrichissante, une réalisation collective dont ne peut se passer un monde qui cherche à évoluer.
Si le Collège International Marie de France peut donner la chance aux jeunes de partir en tournée, c’est que les fonds le permettent. L’importance du théâtre ne s’y discute plus, il y a fait ses preuves. Lorsque l’on pense à la difficulté de financer les projets de théâtre francophone à McGill, étant donné l’absence de programme d’études théâtrales en français, on peut légitimement se demander s’il ne s’agit pas là d’une grave bavure sociale. Les deux pièces présentées par Franc-jeu cette année ont prouvé que la motivation des étudiants pouvait être suffisante pour présenter des spectacles de qualité, reste qu’un investissement plus conséquent de la part de l’Université semblerait bénéfique pour tous. Le rayonnement ne peut jamais atteindre que ceux qui assistent aux pièces. Peu de fonds, pas de mobilité, moins de public, moins d’éclat.