Au cours des dernières années, les médias, la population et le gouvernement ont accordé une attention grandissante au décrochage scolaire des garçons au Québec. Ces derniers tireraient moins leur épingle du jeu en milieu scolaire comparativement à leurs camarades féminines. L’école ne serait pas adaptée à eux, bien que cela reste encore à démontrer scientifiquement. Plusieurs craignent que cet argumentaire soit récupéré et instrumentalisé par un mouvement masculiniste –qui est une forme d’antiféminisme– pour jeter de l’ombre sur une réalité qui est très peu abordée : le décrochage scolaire des filles.
Des raisons différentes au décrochage
En 2012, une recherche exploratoire de la Fédération Autonome de l’Enseignement (FAE) en partenariat avec Relais-Femmes et la chercheuse Isabelle Marchand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) s’est penchée sur la question. L’objectif était de mieux comprendre le phénomène du décrochage scolaire chez les jeunes filles et de trouver les meilleurs moyens de les réintégrer à nos institutions académiques. Cette recherche, qui repose sur des bases empiriques crédibles, ne vise aucunement à généraliser ses données à l’ensemble de la population, mais cherche plutôt à soulever des questionnements qui ont été mis de côté par les instances gouvernementales devant le « succès évident » des filles dans le réseau scolaire.
« Les jeunes adhérant le plus aux stéréotypes sexuels véhiculés dans la société sont beaucoup plus susceptibles de décrocher du milieu scolaire. »
L’étude révèle que les filles décrocheraient pour des raisons différentes que les garçons. Les problèmes d’adaptation en milieu scolaire chez les garçons seraient beaucoup plus visibles, extériorisés et exprimés par un « acting out », une « extériorisation » : l’agressivité, les problèmes de comportement, la toxicomanie ou encore l’intimidation. Chez les filles, ils seraient intériorisés et plus discrets (manque de confiance en soi, problèmes familiaux, violences sexuelles, etc). Les problèmes d’adaptation en milieu scolaire vécus par les filles seraient donc moins perceptibles, plus difficiles à déceler, voire carrément invisibles. Bien que l’adversité familiale ait des répercussions néfastes autant chez les garçons que les filles, ces dernières ont tendance à se « parentifier » (assumer un comportement de parent, ndlr) lorsque de telles situations surviennent, explique au Délit Lise Gervais de Relais-femmes.
Il y a unanimité sur le fait que la pauvreté est le facteur de risque le plus important lorsque l’on parle de décrochage scolaire, autant chez les garçons que chez les filles. Malgré la reconnaissance de ce fait, il y a eu peu de volonté politique au cours des dernières années pour assurer une meilleure redistribution de la richesse et l’instauration de politiques sociales adéquates. Les récentes mesures d’austérité qui touchent notamment le secteur de l’éducation le démontrent, explique Isabelle Marchand, en entretien avec Le Délit.
Déconstruire les stéréotypes sexuels
Les chercheurs Pierrette Bouchard et Jean-Claude St-Amant ont réalisé une vaste enquête au Québec auprès de jeunes du secondaire dont les résultats ont été consignés dans le livre Garçons et filles : stéréotypes et réussite scolaire (1996). À la lumière des résultats, la conclusion est que les jeunes adhérant le plus aux stéréotypes sexuels véhiculés dans la société sont beaucoup plus susceptibles de décrocher du milieu scolaire. Il y aurait une tendance chez les garçons, particulièrement ceux issus de milieux modestes, de s’éloigner du milieu scolaire en raison de cette identité de genre rigide et formatée. Celle qui veut que les garçons soient actifs et dérangeants contrairement à leurs camarades féminines chez qui le fait d’être dociles, à l’écoute et tranquilles est généralement prôné. On peut donc dire que le patriarcat fait non seulement du tort aux jeunes filles, mais aux jeunes garçons également.
« Plus une mère est scolarisée, plus les jeunes sont susceptibles de rester sur les bancs d’école »
Lise Gervais ajoute cependant que les emplois traditionnellement masculins sont généralement mieux rémunérés. Cette situation est surtout visible en région. En ce sens, lorsque les jeunes garçons décrochent, les options disponibles pour eux sont donc beaucoup plus attrayantes : à long terme, ils se retrouvent dans une situation financière beaucoup moins précaire que celles des jeunes décrocheuses. On parle en effet de 16 414 dollars de salaire en moyenne par année pour une fille sans diplôme d’études secondaires, contrairement à 24 434 dollars pour un garçon sans diplôme d’études secondaires. Mme Gervais insiste sur le fait que le Québec rattrape son retard en matière de décrochage, car les garçons raccrochent beaucoup plus aisément que les filles qui se retrouvent très souvent avec des responsabilités familiales, ce qui joue à la fois comme une barrière et une source de motivation pour le retour aux études. En octobre 2014, l’Institut de Recherche et d’Informations Socio-économiques (IRIS) dévoilait une publication qui visait à rappeler que, malgré des avancées considérables, le partage des tâches domestiques était encore inégal entre les femmes et les hommes. En effet, ce sont encore les femmes qui accomplissent une grande partie des soins des membres du ménage, ce qui comprend l’aide aux devoirs aux enfants, dans les pays de l’OCDE. « Plus une mère est scolarisée, plus les jeunes sont susceptibles de rester sur les bancs d’école », conclut Mme Gervais.
Des pistes de solutions
Pour changer la tendance, il faudrait s’attaquer de front à la pauvreté, considérant que c’est la cause première du décrochage chez les jeunes. De plus, il faut contrer les stéréotypes sexuels. Il est impératif de miser sur une analyse différenciée selon les sexes lorsque l’on parle de décrochage scolaire, de ses causes et de ses conséquences. La FAE suggère notamment de revenir au recensement long obligatoire aboli par le gouvernement Harper en 2011. Ce recensement était utilisé par le Ministère de l’Éducation et apportait des données essentielles notamment sur la situation des femmes et des jeunes filles. Finalement, il faut déployer des ressources et des structures plus solides pour repérer et intervenir auprès des jeunes filles, entre autres, victimes de l’adversité familiale.
Considérant le peu d’études réalisées sur la question du décrochage scolaire chez les jeunes filles au Québec, on peut se demander si cette réalité est aussi marginale que l’on tente de nous le faire croire. Une chose est sûre : lutter contre le décrochage scolaire des filles –non pas exclusivement, mais de manière spécifique– c’est lutter contre le décrochage scolaire des filles et des garçons. Dans une société se disant juste en droit envers tous s es citoyens, il est donc dans l’ordre naturel des choses de chercher à contrer l’abandon des jeunes garçons envers leurs études, sans pour autant ignorer la situation chez les filles. C’est une question d’équité.