Roman d’espionnage ? Récit de trahison et de mensonge ? Revisite de l’œuvre de Georges Orwell à saveur contemporaine ? Dès les premières pages, le nouveau roman d’Alexandre Soublière semble jongler entre les différents genres du suspense, tout en possédant une touche très personnelle. Nommé après une sorte de champignon vénéneux, Amanita virosa joue abondamment avec l’omniprésence de la technologie afin de bâtir son récit.
Ce livre suit le parcours de Winchester Olivier qui, avec l’aide du policier corrompu Samuel Colt, forme l’entreprise Hyaena. Celle-ci, dont le but est de fournir différentes vidéos ou photos à de riches hommes d’affaires, prospère grâce à son habileté hors du commun à obtenir du matériel pouvant satisfaire les fantasmes les plus fous. En effet, du simple voyeurisme au plus déviant des plaisirs, c’est dans cette sphère marginale que les protagonistes bâtissent leur fortune. Au gré des divers contrats qui leurs sont offerts tout au long du récit, le lecteur assiste au déploiement de ce réseau de vol d’informations, de caméras cachées et d’oblitération de la vie privée. De quoi se sentir en plein 1984 (de George Orwell, ndlr).
Pour arriver à un tel résultat, l’auteur confronte le lecteur à un univers qui lui semble familier aux premiers abords, mais qui, au fil du récit, entre dans le romanesque. Que ce soit en se lavant chez ses victimes afin de s’attribuer leur odeur, en surnommant les individus en fonction de leur QI ou en ne s’abreuvant que d’eau de pluie, car la sècheresse mondiale lui semble imminente, les manies du personnage principal apparaissent progressivement et donnent un bon aperçu de cette distanciation progressive par rapport au réel. Comme si l’ambiance n’était pas assez trouble, le passé du protagoniste exalte le mystère : un antécédent militaire pour une compagnie privée auquel s’ajoute un amour désastreux pour une infirmière prénommée Cécili.
Dans cet univers contemporain, l’auteur intègre une composante narrative des plus appropriées : l’usage du texto et autres technologies dans son écriture. Ceci surprend au premier regard, mais elle est si bien utilisée qu’elle devient inséparable au récit. En effet, cela permet de présenter les relations entre les différents personnages depuis un angle particulier, en remplaçant les discussions de vive voix par un échange de textos, ou un aparté par un article sur Tumblr. Le choix d’une langue abâtardie favorise aussi cette narration particulière. Comme pour son premier roman Charlotte Before Christ (Charlotte avant le Christ, ndlr), Soublière écrit dans une langue où cohabitent le français et l’anglais, sorte de mélange imitant la langue parlée dans le milieu montréalais. Cette langue complète le microcosme unique de ce livre atypique.
C’est avec une ferveur inouïe que les yeux traversent les pages du nouveau roman d’Alexandre Soublière. Il existe trop peu de termes pour qualifier un livre aussi particulier que celui-ci. Parfait pour tous les amateurs de suspense, mais aussi pour les lecteurs cherchant un roman hors-norme et mémorable, Amanita Virosa saura s’immiscer dans votre intimité.