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« Je te regarde et je me vois mourir »

Le cri de détresse d’un jeune marginalisé, au Théâtre d’Aujourd’hui.

Valérie Remise

Après Oxygène, le metteur en scène Christian Lapointe coupe à nouveau le souffle des Montréalais en présentant Sauvageau Sauvageau, au Théâtre d’Aujourd’hui du 22 septembre au 10 octobre. En se basant sur l’œuvre et la vie d’Yves Sauvageau, Christian Lapointe nous fait découvrir ce jeune artiste québécois des années 1970, mythique en son temps mais désormais inconnu du grand public.

Yves Hébert, de son vrai nom, était un brillant auteur et acteur dramatique qui connut un début de carrière fulgurant, peu de temps avant de se donner la mort, à l’âge de 24 ans. On fait alors la connaissance d’un homme au talent prometteur mais à la sensibilité à fleur de peau tout au long de la pièce, au travers des dialogues et des monologues de deux personnages seulement. Deux personnages, ou plutôt une seule et même personne sortie de deux époques différentes : un Sauvageau figé à 24 ans, et un Sauvageau qui aurait eu aujourd’hui 69 ans s’il n’était pas parvenu à ses fins suicidaires. 

La pièce commence : entrent en scène les deux Sauvageau. L’un met en marche une vieille radio qui retransmet les témoignages de personnes ayant connu l’homme. En arrière-plan, une grande boîte qui ressemble à une télévision géante servira tout au long de la pièce à la fois d’écran de  projection, de livre et de cadre photo. En parallèle des témoignages, les photos de l’artiste défilent sur l’écran et retracent sa vie, de sa petite enfance jusqu’à ses derniers instants. Les deux acteurs sont assis de part et d’autre de la scène et assistent à cette commémoration comme des spectateurs. Les images s’accélèrent jusqu’à ce que tout s’arrête. Les Sauvageau se mettent au centre de la scène, revêtent les mêmes habits et c’est là que tout débute. 

La pièce, sans entracte, se découpe en quatre plans principaux aux intensités différentes. Sur fond de piano, le jeune Sauvageau entame d’abord un discours à travers lequel il décrit sa faim et sa soif de vivre, ses frustrations, sa colère et son désarroi face à une société, un monde qu’il ne comprend pas. Il exprime son mal-être et s’entrechoquent des mots qui reflètent son envie  de vivre et d’être acteur de ce monde, avec d’autres paroles qui décrivent son désir ardent de mourir, de quitter cet environnement dans lequel il ne se retrouve pas et se sent marginalisé. Le vieux Sauvageau, plus lucide, lui répond de manière intermittente et tente de calmer ces pulsions de mort, tout en comprenant la rage exprimée par le jeune homme. 

Le vieux Sauvageau représente la manifestation fantasmagorique de Sauvageau s’il n’avait dit oui à la mort. Il est blasé, mais il aime la vie. S’ensuivent deux autres plans, durant lesquels le  jeune Sauvageau monte en intensité, déclame sa colère de manière de plus en plus véhémente. Au cours d’un monologue de presque vingt minutes, véritable performance de l’acteur, une litanie de mots se déversera pour enfin mener au quatrième plan, durant lequel les deux Sauvageau se retrouvent et continuent leur dialogue. La scène se clôture par une danse psychédélique, presque candide. 

Sauvageau Sauvageau est avant tout une pièce textuelle dont le but n’est pas d’être intégralement absorbée par le spectateur, mais plutôt que celui-ci perçoive les émotions et idées qui s’en dégagent. Le texte est sans aucun doute très beau et travaillé mais il demeure cependant très lourd et donc difficile à suivre jusqu’au bout. Heureusement, le metteur en scène a choisi d’équilibrer la densité de son texte par un décor sobre et les mouvements mesurés des acteurs. En définitif : une pièce pas évidente à regarder, mais l’exercice de concentration vaut le détour. 


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