Une petite pièce sombre, un bureau et trois sièges. Nul n’aurait deviné que, d’ici quelques minutes, ces places seraient occupées par les comédiens de « Gainsbourg, poète majeur », pièce d’ouverture du FIL (Festival International de la Littérature) qui ne sont autres que Jane Birkin, Michel Piccoli et Hervé Pierre.
Le Délit revient ici sur cet échange surréel, cette entrée dans l’intimité d’un des plus grands compositeurs, paroliers et interprètes français à qui l’on doit l’intemporelle « Javanaise ».
L’idée de la création d’une pièce en hommage à l’œuvre de M. Gainsbourg a germé à Toulouse, alors que Jane Birkin faisait la tournée de son album Arabesque avec le concepteur artistique Philippe Lerichomme. Elle a suggéré de remplacer des reprises musicales par de simples lectures des textes de celui avec qui elle a partagé sa vie pendant près de douze ans. Une façon de « découvrir en Gainsbourg le poète, plus que le chanteur ou le compositeur », explique le comédien Hervé Pierre qui rappelle que « parfois, le poème a une musicalité toute aussi grande que la chanson ». En détachant les mots de leur mélodie, Jane Birkin a même redécouvert certains textes de « Serge ». « Et ce ne sont pas des choses qu’on réécoute tellement souvent en fait ; les ‘paroles paroles’. On croit qu’on connaît, un peu comme la marseillaise, mais non. Après un vers, on est cuit. »
Questionnée par Le Délit sur la façon dont elle a abordé le travail de la pièce, Jane Birkin mentionne surtout l’émoi que lui inspirent de tels textes, notamment ceux que Serge lui a dédiés. « Je découvre des textes que je ne connaissais pas et souvent, ça me fait une émotion ! Et c’était écrit il y a, je ne sais pas, 50 ans ? C’est fou. » Et s’il était encore là, demande un journaliste, aurait-il endossé la pièce ? L’icône anglaise répond : « Je n’en sais rien car il était très imprévisible. Mais je pense que le culot de Michel et la drôlerie d’Hervé : il aurait adoré. Ça c’est sûr. » Car si la pièce – que les trois comédiens ont présenté le 24 septembre au théâtre Maisonneuve – a de quoi émouvoir, certaines chansons, comme « L’hippopodame », deviennent comiques une fois privées de leur musicalité. En témoignent les réactions du public, le soir de la présentation, quand la voix d’Hervé Pierre a lancé avec gravité : « Ah quel suspens sur mon hippopodame, avec un « d » comme dans vas‑y mollo ».
« Un certain monsieur, qui ne vit plus…Mais qui est admirable.»
Monsieur Piccoli, dont la carrière théâtrale massive revêt presque des allures d’arsenal, ressemble tout autant à un personnage dans la vie réelle. Une fois interrogé sur son travail d’acteur il convient : « Quand à moi, je suis toujours dans la folie d’être de plus en plus passionné avec les passionnels et les fous. Et les menteurs. J’aime les menteurs ». En s’adressant autant à Jane Birkin qu’aux journalistes, il décrit Serge Gainsbourg comme « un certain monsieur, qui ne vit plus… Mais qui est admirable. Voilà ». Et à nouveau, il brise le silence qui venait de s’abattre : « J’aime bien parce que c’est assez silencieux après ça. Ça prouve que c’est très con, ou très intelligent » déclenchant un rire consensuel parmi les journalistes.
Il est ensuite question de l’héritage de M. Gainsbourg au Québec. Jane Birkin retrace : « Il a eu une période rose, il a eu une période bleue et une période cubiste avec Gainsbarre. Jusqu’au bout il a écrit. Alors l’œuvre est absolument monumentale. » Mais tandis qu’il considérait la chanson comme un art mineur, elle précise qu’il ne se considérait pas comme un « poète majeur » et qualifie le titre de la pièce de « prétentieux », car il admirait de grands poètes. « Autant, être considéré comme prétentieux ou poète ça le gonflait parce qu’en effet il aimait Rimbaud, Apollinaire… Mais je pense qu’il savait qu’il était un très bon parolier. Ce n’était pas prétentieux. » Et après une courte pause, elle conclût, non sans une touche d’ironie : « Un peu comme quand quelqu’un lui a demandé : « Quelle sera la fin du monde ? » et qu’il a répondu : ‘Ma mort.’»