Après avoir été présenté en sélection officielle au Festival International du Film de Cannes 2015, le nouveau thriller du réalisateur québécois sortait au Québec ce vendredi 2 octobre. Denis Villeneuve propose un film lourd d’action sur les cartels mexicains et leur relation avec les services de sécurité américains. Une œuvre de plus sur les trafiquants de cocaïne avec un angle de vue nord-américain qui ne permet qu’un seul aspect innovant : le rôle central d’une femme comme agent d’investigation. On suit alors l’histoire de Kate (interprétée par la charmante Emily Blunt), recrue du FBI envoyée à Ciudad Juárez pour gérer la guerre entre deux cartels.
Bien que soutenu par une solide distribution d’acteurs (Benicio Del Toro, Josh Brolin), une atmosphère constamment tendue par la violence du scénario et une précision admirable, le film n’est pas parvenu à esquiver des allures de grosse production hollywoodienne. Cela explique certainement pourquoi le long-métrage est reparti bredouille de Cannes. Qualifié du « film le plus accompli de Denis Villeneuve sur le plan technique » par La Presse, Sicario laisse cependant Télérama dubitatif : « avait-on vraiment besoin d’un film de plus sur les cartels mexicains ? ».
Il semble que Denis Villeneuve ait tenté de justifier son choix thématique par un équilibre entre des scènes violentes saturées par une tension lancinante et des scènes de conflit psychologique marquées par les dilemmes moraux et éthiques des agents américains, surtout incarnés par Kate, la femme forte mais sensible, flic innocente au milieu des pourris. Pour nous toucher, le réalisateur a eu raison d’inclure, tout au long du film, des plans qui montrent le quotidien d’une famille de Ciudad Juárez dont le père est policier et la mère inquiète toute la journée. Leur jeune fils baigne dans une atmosphère de violence perpétuelle. Il trouve un jour le revolver de son père, qui le lui reprend immédiatement. C’est l’annonce que la vie du fils sera la même que celle du père : impregnée de la guerre des cartels, du sang versé par le trafic de drogue et finalement de la méfiance envers les Américains. Le plan qui clôt le film est un tableau qui dépeint le petit Mexicain en train de jouer au football sous un tonnerre lointain de fusillades. L’immersion dans la guerre des cartels est totale dans ces plans de vie journalière, plus qu’elle ne l’est lors les scènes d’intervention sensationalistes du FBI.
Le rôle du FBI, d’ailleurs, est entaché par la corruption, la manipulation pour que la guerre des cartels mexicains tourne à son avantage. On comprend vite que les services américains ne sont pas présents au Mexique pour faire cesser la violence, mais pour contrôler l’état de l’économie illégale. Mieux vaut le bon vieux monopole sous l’emprise d’un seul cartel plutôt que le chaos d’une guerre civile entre deux monstres.
Le jeu de Benicio Del Toro dans le maintien du suspens et de la tension est remarquable, bien meilleur que celui de Josh Brolin. Tout au long du film, mais en particulier lors d’une scène de filature en pleine autoroute bondée, le calme ressemble à du cristal qui menace de rompre en éclats au moindre coup de feu. Les voitures roulent au pas, le 4x4 blindé du FBI quelques mètres à la droite du véhicule rempli de sicarios (main d’oeuvre des cartels), leurs regards se croisent plusieurs fois puis les yeux de l’un des agents se posent sur l’arme mal dissimulée d’un Mexicain : feu d’artifice !
Somme toute, Denis Villeneuve a su enchaîner les explosions sans les rendre (trop) insupportables au public bien assis dans son fauteuil. C’est un thriller sans plus, et en même temps une œuvre marquante par sa rigueur formelle. On y entre sceptique et en ressort touché.