L’interdiction de tourner un film dans son pays natal n’aura pas empêché le réalisateur iranien Jahar Panahi (Le Miroir, Hors Jeu) d’en faire un troisième en cinq ans de bannissement officiel, après Ceci n’est pas un film et Pardé. Avec sa petite caméra installée dans une boîte de papiers mouchoirs en face de lui, Panahi sillonne les rues de Téhéran en tant que chauffeur de taxi, transformant les passagers et les connaissances qu’il rencontre sur son chemin en acteurs du film. On se demande à plusieurs reprises où s’arrête la réalité d’un simili-documentaire et où commence le jeu. Voici Taxi, film qui se voit décerné l’Ours d’or à la Berlinale. Panahi, face à l’interdiction de quitter son pays, s’est retrouvé évidemment dans l’impossibilité d’aller chercher lui-même son prix. C’est sa jeune nièce, figurante dans le film (petite écolière en tchador, balbutiante et énergétique, une caméra à la main pour un projet scolaire), qui le reçoit en son nom.
Mais quel piètre chauffeur de taxi, ce monsieur Pahani ! Il connaît mal les rues, les monuments historiques, voire même l’emplacement des hôpitaux de Téhéran. Il trouve même pour quelques-uns de ses passagers un autre taxi qui les amènerait à destination avec plus de justesse que lui. Il refuse souvent tout paiement ; et alors que tous ses passagers se plaignent de vivre dans la pauvreté, ils le paient quand même. Courtoisie iranienne oblige.
On rencontre, à tour de rôle, différents personnages. Un voleur qui est pour la condamnation à mort, un trafiquant de films occidentaux piratés, un homme gravement blessé et sa femme – qui tombera dans la misère si son mari meurt sans laisser de testament – un étudiant en cinéma à la recherche d’inspiration ou encore deux femmes transportant des poissons rouges à la fontaine d’Ali. On rencontre aussi Hana, la nièce de Panahi, et un ami d’enfance qui, après avoir subi un braquage, refuse de dénoncer les coupables, qu’il sait être dans le trouble financièrement, puis enfin la « dame aux roses », une avocate qui tente d’aider les prisonniers politiques dissidents et leurs familles. Elle évoque, au travers de sous-entendus, sa propre détention, jadis, qui la rend désormais incapable d’exercer son métier dans son pays…
Derrière le semblant de simplicité du film (un homme déguisé tant bien que mal en chauffeur de taxi, des figurants, une ville bondée, des histoires du quotidien), on retrouve des commentaires très clairs et francs et d’autres moins, plus nuancés et presque cachés, sur la situation sociopolitique en Iran. La place des femmes dans la République islamique d’Iran, sa situation économique, l’emprisonnement et les exécutions des dissidents politiques ou encore la censure du cinéma : tout y passe dans Taxi. Dans la seconde moitié du film, Panahi semble même avoir arrêté de jouer son rôle de chauffeur de taxi bienveillant, calme, souriant. Il entre dans un autre rôle : le sien. Celui du réalisateur banni qui parcourt nerveusement les rues de Téhéran, qui croit avoir entendu la voix de son interrogateur dans la foule… À la recherche de quelqu’un, ou peut-être cherchant à lui échapper ?
La salle du Cinéma du Parc était bien remplie en ce vendredi soir de première. Le film finit sans générique, puisqu’il est censuré par l’État. Impossible, donc, d’en nommer les acteurs, les producteurs, les assistants. Panahi inclut une courte note, sur l’écran noir, en guise de remerciements. Dans la salle, on se met à applaudir le réalisateur absent, comme si l’on espérait qu’il puisse entendre, de Montréal à Téhéran, le soutien d’un public à l’écoute. Malgré son statut de cinéaste banni, on n’oubliera pas de sitôt monsieur Panahi.