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Le temps retrouvé

Le film Trois souvenirs de ma jeunesse explore le thème de la mémoire. 

Amélia Rols

Six mois après une présentation applaudie à la Quinzaine des Réalisateurs, compétition parallèle du Festival de Cannes 2015, Trois souvenirs de ma jeunesse sortait dans les salles de cinéma québécoises ce vendredi 16 octobre. Le réalisateur français Arnaud Desplechin signe avec cette comédie dramatique une œuvre bouleversante, portée par un scénario remarquable pour sa poésie et sa profondeur. 

« Je me souviens… Tout est effacé sinon trois-quatre bribes ». Paul Dédalus est anthropologue. À son retour en France après des années de recherche au Tadjikistan, il est arrêté par les services de renseignement : Paul posséderait un double en Australie, un mystérieux alter-ego partageant son nom et sa date de naissance.  Au fil de son interrogatoire, Paul se remémore son passé, reconstruisant à travers ses souvenirs une identité qui lui échappe. Un fragment d’enfance, la réminiscence d’un voyage scolaire en URSS, la mémoire morcelée d’un amour passionnel : en trois tableaux, Arnaud Desplechin dessine l’existence romanesque d’un personnage principal magnétique, incarné avec talent par Quentin Dolmaire pour son premier rôle au cinéma. 

Amélia Rols

À l’origine de Trois souvenirs de ma jeunesse, il y a d’abord Paul Dédalus, personnage récurrent dans l’œuvre cinématographique de Desplechin. Apparu pour la première fois sous les traits d’un professeur d’université en 1996 dans Comment je me suis disputé… (ma vie sexuelle) puis en adolescent schizophrène en 2008 dans Un conte de Noël, on le redécouvre dans ce dernier opus en jeune adulte vivant une relation passionnelle et tumultueuse avec Esther, magistralement interprétée par Lou Roy Lecollinet. C’est la première fois qu’Arnaud Desplechin travaille avec de jeunes acteurs et il approfondit à travers ce film certains de ses thèmes de prédilection parcourant son œuvre, notamment ceux des rapports familiaux ou des relations amoureuses. En explorant ces sujets à travers le prisme de la jeunesse, Desplechin évite pourtant l’écueil du documentarisme et de la caricature, proposant au contraire une représentation personnelle et singulière des sujets dont se nourrit le film. 

Trois souvenirs de ma jeunesse se distingue également par sa portée historique. À travers le récit de Paul, c’est également l’histoire de sa génération qui se dessine, témoin de la fin de la Guerre Froide et des changements sociaux qui l’accompagnent. L’histoire personnelle de Paul nous guide à travers les métamorphoses d’une époque désormais révolue, entrelaçant trajectoires collectives et individuelles. Suivant une structure narrative circulaire, Arnaud Desplechin parvient à faire dialoguer passé et présent dans un film à la maîtrise technique irréprochable et à l’esthétique unique. Naviguant brillamment entre différents univers temporels, Trois souvenirs de ma jeunesse ne cesse d’étonner et de toucher par la beauté de ses dialogues, la singularité du jeu de ses acteurs et la justesse de leurs interprétations. Touchants par leur aspiration à la grandeur, leur désir d’être exceptionnels, les héros de Desplechin fascinent autant qu’ils bouleversent. Émouvant sans jamais être mièvre, palpitant sans artifices, Trois souvenirs de ma jeunesse explore les questions de la mémoire, des sentiments et des relations amoureuses avec une finesse et une sensibilité saisissantes.


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