Le silence règne dans le Centre Canadien d’Architecture (CCA) en ce samedi 31 octobre. L’avantage lorsqu’on décide de s’y rendre soixante minutes avant l’heure de fermeture, c’est que l’on croise plus de vigiles que de visiteurs. On peut alors profiter seul, ou presque, du voyage à travers l’espace et le temps qu’offrent les galeries « L’architecte, autrement », organisées par la conservatrice en chef du CCA Giovanna Borasi.
« Cette nouvelle exposition présente l’architecture comme allant au-delà de la nécessité de construire – il s’agit de l’architecture comme mode de production d’idées. Ces idées peuvent contribuer à changer le monde. » Peut-être que le directeur du CCA, Mirko Zardini, exagère dans sa présentation de l’exposition. Peut-être pas. Il semblerait qu’il soit à nous, humbles visiteurs, d’en juger.
Hors des sentiers battus
Il est clair dès le départ – et la variété du contenu le confirmera – que « L’architecte, autrement » cherche à repousser le sens conventionnel que l’on accole parfois à cette profession. Comme pour réfuter l’idée que l’architecture doit être réduite à une « industrie », nous voilà plongés à travers 23 cas inédits qui ont façonné la pratique architecturale de 1960 à nos jours. L’agencement de l’exposition est tel qu’il nous est permis de naviguer entre les pièces, pour s’imprégner de fresques, archives, projections et maquettes d’un labyrinthe créatif qui mêle les travaux architecturaux à de bien vastes problématiques. Un présentoir de lettres retrace, par discussion épistolaire, l’évolution de groupes de pensées tels que le laboratoire italien ILAUD (Laboratoire International d’Architecture et de Design Urbaniste), fondé en 1973. Les cinq initiales du groupe surplombent un mur où l’on peut lire : « Pourquoi un laboratoire ? Car nous n’avons pas besoin d’une école d’architecture institutionnelle de plus ». Une citation radicale qui illustre plutôt clairement leur refus de la rigidité de l’enseignement architectural des années 1970.
On entre alors dans un monde dont on n’aurait pas soupçonné l’existence : l’envers du décor d’un système, d’un ensemble d’institutions aux airs impénétrables. La thématique « Un rôle inexploré » fait le portrait d’architectes qui se mêlent aux danseurs, détectives, sociologues et se concentrent sur des enjeux d’échelle humaine. Sur un fil tout aussi créatif, en 1978, le groupe bruxellois ARAU (Atelier de Recherche et d’Actions Urbaines) met sur pied un spectacle comique-critique où les musiciens se cachaient sous des chapeaux en forme de gratte-ciels. Tapés à la machine, les archives du membre Maurice Culot expliquent que le but est la conservation d’une culture urbaine ainsi que la lutte contre les spéculateurs en « proposant une vision alternative à la leur ».
Tête sur les épaules
Plutôt que de nous placer face à des maquettes sans queue ni tête, l’originalité de cette exposition réside dans son absence de matériel prévisible. Elle réussit à nous montrer ce que l’architecture peut être, ou ce qu’elle est déjà si l’on se donne la peine de le reconnaître. Car il est facile de se perdre dans des discours « prout-prout » sur « l’organisation de l’espace physique » et autres détours éloquents qui nous feraient presque oublier le caractère primaire de cet art.
Tracée noir sur blanc, une boîte à outil géante accompagne la phrase « Do it yourself » (« Fais le toi-même », ndlr) que l’on se prend en pleine face, une fois entré dans une pièce annexe. Simple et efficace comme une petite tape sur la joue : l’architecture ce n’est pas seulement des termes compliqués. Ce n’est pas juste une ronde de vieillards qui se chamaillent sur le design de monuments improbables qui ne verront jamais le jour. L’architecture c’est aussi un travail collectif d’artisans et des mécanismes qui, une fois imbriqués, font que l’on peut se sentir libre à l’abri.