Le Délit (LD): Pour commencer, est-ce que tu pourrais présenter brièvement ton rôle dans le groupe ?
Rafaël Proulx (RP): On me surnomme Arafphat depuis le début de l’aventure et je m’occupe de la composition, des arrangements… On se nourrit tous un petit peu de ce que font les autres mais il faut quelqu’un pour organiser tout ça, parce qu’on est dix : deux claviéristes, une chanteuse, un trompettiste, un saxophoniste, un tromboniste, un batteur, deux bassistes, et un guitariste (moi). En tout cas on est bien plus que lors du premier album qu’on a fait en 2006 Yé où le hip-hop, ça remonte à longtemps !
LD : C’est cette année-là que le groupe s’est créé ?
RP : Non, en fait, Xavier (l’autre membre fondateur du band) et moi on faisait de la musique depuis longtemps. On a commencé à faire des beats plus hip-hop/rap au secondaire. En sortant du cégep, on commençait à être plus sérieux là-dessus, lui écrivait des textes de rap et on s’est dit qu’on allait en faire quelque chose. On a assemblé ce qu’on avait chacun de notre côté et ça faisait du sens. Bon, la qualité était un peu approximative, c’était les premiers shows, mais ça nous a donné le goût de continuer. Puis on s’est dit qu’on allait enregistrer quelque chose. On habitait ensemble avec Xavier et on a réussi à enregistrer ça dans le garde-robe. On avait mis un micro et on a fait ça là-dedans (rires).
« C’était les premiers shows, mais ça nous a donné le goût de continuer »
LD : Vous avez enregistré tout un album dans votre garde-robe ?
RP : Oui, enfin dans notre maison. Ça, c’était en 2004–2005. Et juste avant 2006 on a eu envie de jouer avec de vrais musiciens. On voulait pas juste rapper sur des instrus préenregistrées, il y en avait trop qui le faisaient. En fait, y’avait pas beaucoup de bands de rap de l’époque qui cherchaient à faire ça, en tout cas à Montréal. Parce que sinon des groupes comme The Roots le faisaient, et moi c’était quelque chose que je voulais faire. Donc on a inclut d’autres musiciens et on s’est lié d’amitié. Tu vois aujourd’hui, le band comprend le tromboniste, le saxophoniste, Xavier et moi comme membres originaux. Et au final, au lancement en 2006, on avait 15 musiciens. Les gens ont donc vu deux formats différents : l’album puis le concert, plus complet. Ils ont vraiment trippé sur le format band et c’est devenu notre trademark. Le band de rap, c’est live que ça se passe. Mais on a quand même pensé faire un deuxième album en incluant les musiciens, et c’est ce qui a donné Pour emporter en 2011.
LD : Tu pourrais nous parler de l’évolution entre le premier et deuxième album ?
RP : Le fait d’avoir autant de bons musiciens ça donne le goût d’écrire pour ces musiciens-là puis de mettre plus l’accent sur le côté musical, en tout cas c’est mon travail à moi. Sur le premier album, les textes sont assez crus, on balance quand même pas mal dans le visage de l’auditeur. Ce côté-là a évolué puisqu’on a grandi et qu’on voit peut être moins l’intérêt de provoquer. Même s’il y a des moments où on va être crus pour une raison précise.
LD : Oui car dans la dernière chanson de Pour emporter, vous avez gardé un peu de ça…
RP : « Va ch*** paye moé » ? Oui, il y a une raison à cette agressivité-là. C’est une critique du fait que quand tu es musicien, tu te fais demander toutes sortes de trucs et personne n’est prêt à considérer ton travail et à te payer en conséquence. Dans le milieu musical, avoir des bons contrats puis des gens qui te payent vraiment c’est un petit peu difficile. Partagés à dix, les salaires sont très très minces.
« Avoir autant de bons musiciens ça donne le goût […] de mettre plus l’accent sur le côté musical »
LD : Est-ce que tu participes aussi à l’écriture des textes ?
RP : C’est vraiment dans l’esprit hip-hop : chacun est responsable de ce qu’il a à dire. Concernant les chansons, parce qu’on a intégré des chants, on participe un peu tous. On a aussi une ou deux covers qu’on a joué au Patro Vys (avenue Mont-Royal) le 10 octobre dernier. On aime bien dévier un petit peu de la trajectoire rap parce qu’on a tellement de raisons de se diversifier. Moi j’écoute du rap, oui, mais j’écoute aussi des millions d’autres trucs.
LD : À ce propos, quelles sont vos influences majeures ?
RP : Il y a beaucoup d’influences de musique classique dans le premier album, et le deuxième aussi. Notre musique c’est un mélange de soul, funk, classique, jazz… Mais ce que je trouve intéressant c’est que ça finit toujours par sonner comme le band. Comme NSD. Je sais pas pourquoi, même si c’est pas quelque chose qui est voulu et qu’on cherche pas forcément à éviter une étiquette ou quoi que ce soit.
LD : On n’a toujours pas parlé de votre nom : NSD ça veut quand même dire Nul Si Découvert. Parce que ce nom ça veut quand même dire : si on est connus on perd tout intérêt mais en même temps vous cherchez à être connus.
RP : Exactement. Fait que finalement on a décidé d’y aller seulement avec NSD. On trouvait que ça avait plus trop de sens. Parce qu’avec le premier album on a quand même été sur le palmarès de radios étudiantes puis communautaires, on a joué aux Francopholies… On laisse aux gens le soin de décider ce que ça veut dire. On va faire un concours (rires).
LD : Si tu devais caractériser le rap québécois, qu’est-ce qui te viendrait à l’esprit ?
RP : Il y a plusieurs choses. C’est quand même assez diversifié pour un si petit milieu. Il y a des trucs un peu plus gangsta, des trucs complètement disjonctés, des trucs plus poétiques…Il y a une dizaine d’années c’était moins varié, moins intéressant je trouve. Peut-être plus influencé par le rap français de l’époque, plus conservateur sur le plan musical ou sur le plan des textes. C’était pas moins « vrai », mais il y avait moins d’exploration. Alors qu’aujourd’hui des groupes il y en a plein. Dead Obies qui commençait à jouer beaucoup avec la langue. Alaclair Ensemble, qui visiblement est ultra créatif, autant sur le plan musical que sur le plan des textes…
LD : On dirait qu’il y a vraiment quelque chose de spécial dans le rap québécois que l’on ne retrouve pas ailleurs. Par exemple, il y a souvent beaucoup d’autodérision.
RP : Ouais c’est vrai. C’est peut-être une partie de la réponse, l’aspect autodérisoire. Ici, c’était sérieux plutôt dans des groupes comme Sans Pression ou Muzion dans les années 2000. C’était moins dérisoire. Et puis petit à petit on a commencé à se prendre moins au sérieux, je trouve que c’est une bonne chose. Qu’on s’entende bien : c’est pas parce que tu fais du rap au Québec que tu vas réussir à bien gagner ta vie. Alors commencer à parler de cash puis de tout le reste, tu peux pas le faire sans autodérision parce que c’est pas ta réalité. Si 50 cent parle de ça, je le comprends. Mais les belles autos et le gros compte en banque ça nous passe un petit peu à côté.
« C’est pas parce que tu fais du rap au Québec que tu vas réussir à bien gagner ta vie. »
LD : Et maintenant : parlons de votre prochain album.
RP : Donc on travaille sur un album depuis un petit moment, la maquette est terminée. Comme pour le précédent, on va se rendre en studio mais on aimerait aussi faire des choses maison. Honnêtement, ça sonnera peut être niaiseux un peu mais on fait de la musique d’abord pour nous, pour se faire plaisir. On espère que la sortie se fera au printemps ou à l’automne 2016. En tout cas c’est intéressant, on a plein d’idées de nouveaux projets sur comment on va apporter ça au public.
LD : Votre dernier album parle surtout d’affaires de la vie de tous les jours, vous allez conserver ce ton-là ?
RP : Oui probablement par ce qu’on essaye de rester proche de ce qui colle à chacun de nous. On n’essaie pas de se donner des personnages ou d’aller trop loin. C’est sûr et certain qu’il sera beaucoup plus mûr musicalement et dans les textes. Bon, mûr ça égale pas plat ou ennuyant, c’est quand même du hip-hop, tu as besoin de bouger. Mais je me suis amusé à casser le rythme basique du rap et donner des défis aux gens qui écrivent les chansons. On a fait des expérimentations pis souvent ça marche très bien. J’ai hâte de voir ce que ça va donner en album.