Loin à l’est, bien au-delà de l’archipel des îles de Sorel et du lac Saint-Pierre, enclavé entre les contreforts des Laurentides au nord et les basses terres du Saint-Laurent au sud, se trouve un territoire étonnant, quasi mystique nommé « Ville de Québec ». Capitale nationale de la province éponyme, Québec guette Montréal, sa rivale métropolitaine, de l’œil attentif et méfiant de ses médias locaux. À travers cette méfiance s’exprime la plus vieille bataille du monde, celle du bien contre le mal. Québec : la régionale, la méfiante, l’intolérante, la conservatrice. Montréal : la cosmopolite, l’ouverte, le havre de toutes les cultures, la progressiste. Par Montréal arrive la modernité, à Québec se terre l’ignorante résistance. C’est du moins ce que prétendent nombre de chroniqueurs métropolitains, nombre d’intellectuels injectés de la légitimité du progrès. Décrire Québec comme un malheureux repère de conservateurs qui s’expriment à travers des tribunes radiophoniques particulières et en votant massivement pour des partis de droite et anti-indépendantistes est de plus en plus fréquent. La méfiance envers Montréal dont on accuse Québec serait-elle donc — surprise ! — bilatérale ?
Le « mystère Québec »
Moult entrefilets, nouvelles et chroniques montréalaises le laissent présager. On parle régulièrement du « mystère Québec », on élève en phénomène les fameuses radios parlées de Québec. On déchire notre chemise devant ces tristes polémistes réactionnaires. Dès que possible, on les amène, à tort ou à raison, devant nos tribunaux et tentons de les sanctionner pour leurs propos méprisants. Tirerait-on une certaine jouissance à tenter de les faire taire ? Eux, animateurs populistes, se défendent à grand coup de liberté d’expression. Où s’arrête leur droit ? Où commencent leurs devoirs ? Le débat n’a jamais vraiment lieu, les commentateurs de Québec et les intellectuels médiatiques montréalais exaltés se campant chacun dans la stérilité de leur vision manichéenne de la réalité. Le bien contre le mal, la liberté contre la censure, le progrès contre le conservatisme, la gauche contre la droite.
Depuis quelque temps, la méfiance de ceux qui se réclament de l’ouverture, du savoir et du progrès pour tenter de discréditer les vils populistes de la vieille capitale atteint un tout autre niveau : des études sont produites. Tout d’abord, la thèse de doctorat du sociologue uqamien Frédéric Parent dont l’objectif était d’étudier le « mystère Québec » : pourquoi ces populations « plus pauvres et moins scolarisées » votent-elles contre leurs intérêts, c’est-à-dire pour des gouvernements moins interventionnistes de droite ? Bien que les conclusions du chercheur ne mettent pas en cause les polémistes radiophoniques pour expliquer ce phénomène, ces médias sont posés comme l’expression d’une population vieillotte qui a encore en mémoire « l’arrivée de leur grand-père qui est parti à pied avec son frère, qui a bûché et construit sa maison sans plans. »
« Régime de peur »
Plus récemment, c’est la mairesse de la municipalité de Lac-Delage Dominique Payette, mandatée par l’ex-première ministre Pauline Marois, qui a déposé un rapport assassin sur « le régime de peur » engendré par ces médias et par le climat social néfaste qu’ils créent. La réponse des commentateurs de Québec est unanime : condamnation d’un document pernicieux de propagande « péquiste » et « gauchiste ». L’auteure du rapport se fait rassurante pour les pauvres hères qui seraient tentés de discuter le côté singulier de la production de son pamphlet. En effet, « le problème, ce n’est pas qu’ils [les médias de Québec] soient conservateurs, le problème, c’est qu’ils ne soient pas tolérables sur le plan social. » Eh bien, voilà qui est rassurant… Nous avons maintenant une bonne raison de chercher à les faire taire. Une chose pourtant me frappe. Se pourrait-il que le manque de nuance, la méfiance et la crainte de ce qui n’est pas comme nous ne soit pas que l’apanage de la droite ? Poser la question, c’est y répondre. ξ