Portrait de famine est l’album auquel Philippe Brach doit sa nouvelle popularité et sa consécration dimanche passé au Gala de l’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque, ndlr), où il a remporté le prix de révélation de l’année. Avant de remporter son prix il tirait la langue à la caméra et, une fois sur scène, il se prosternait aux pieds de Mesmer l’hypnotiseur, nouveau meilleur ami de sa collègue Klô Pelgag qui avait remporté la même distinction l’année précédente. Décidément, il y a de belles et d’étranges choses qui se révèlent ces temps-ci sur la scène musicale du Québec.
La question que l’on se pose avec Philippe Brach à l’écoute de son dernier album est de savoir si des thèmes aussi difficiles peuvent vraiment accrocher et retenir un grand public avide de plaisirs moins scabreux. Difficile à dire, mais on sait toutefois qu’après Louis-Jean Cormier, c’est toute l’industrie qui s’est rangée ce soir-là derrière la folie de Brach. Cela ne devrait pas l’empêcher de continuer de faire les choses à sa manière, comme il l’affirmait au Délit lors d’une entrevue téléphonique la semaine précédente : « Je suis quelqu’un qui a quand même un bon ego pis qui a une tête de cochon dans la vie. Quand mettons que quelque chose fonctionne pas à mon goût ben c’pas grave. » D’où entre autres la succession rapide de ses albums La foire et l’ordre suivit de près un an plus tard par le fameux Portrait de famine.
« Le premier album c’était quatre-cinq ans de compositions. Quand il est sorti y’avait déjà des chansons que j’étais un peu écœuré de jouer en spectacle pis y’a déjà des chansons dont tranquillement je me détachais. Je savais que je voulais pas traîner ces chansons-là pendant trois-quatre ans parce que je me tanne très vite dans la vie. C’est pas long que je perds ma motivation fait que c’était important de sortir le deuxième quand même assez rapidement pour pouvoir me faire un répertoire assez étoffé. Pour que je puisse choisir mes tounes en spectacle pis dodger les tounes de merde que je suis écœuré de jouer. »
« Brach a bien prouvé à quel point il se trouvait confortable dans tout ce qu’il ne l’est pas »
Déjà sombres, les textes de Brach sont allés plus loin tout en se nuançant dans le deuxième opus. Est-ce qu’aujourd’hui au Québec il y a encore une réticence à parler des aspects plus sinistres de la mort, du sexe et de l’amour ? « C’est clair qu’au Québec je pense qu’on a une facilité pour ce qui est sombre et triste. C’est toujours plus facile de dire « Vas chier tu m’as quitté » que de dire genre, de manière non kitsch « Je t’aime ». Moi ça reste ma zone de confort aussi. Je pense pas qu’il y ait de tabou, pas en 2015, pas avec la démocratisation d’internet pis des médias sociaux. C’est cliché ce que j’vais dire mais ça reste ça : tout se dit mais tout est dans la manière de le dire. Ma zone de confort c’est les zones qui sont crasses, qui sont sombres, qui sont glauques. »
Brach a bien prouvé à quel point il se trouvait confortable dans tout ce qu’il ne l’est pas. Son nouveau clip pour la chanson Crystel est un véritable rassemblement de tout ce qui peut rendre une vidéo « Not Safe For Work » comme on dit. En deux mots : bordel meurtrier. « On a pas pensé aux autres nécessairement. On a fait ça très égoïstement pour se faire plaisir. Comme tout ce que je fais dans la vie, clairement » dit-il quand on lui demande si une telle intensité de violence peut limiter son public. « Le monde qui aime ce que je fais ont commencé à aimer ce que je faisais parce que je me souciais pas de ce qu’ils pensaient avant de créer. J’ai tout le temps créé pour moi-même. » Cela reste un jeu dangereux de ne penser qu’à l’œuvre en soit, surtout aujourd’hui quand chaque vue compte en gage de pertinence. Mais Brach n’observe pas plus l’approche traditionnelle dans le médium du vidéoclip.
« Fréquemment dans le passé, un vidéoclip c’était un outil de marketing, de commercialisation. Aujourd’hui t’es plus souvent sur internet, donc t’as moins de barrières au niveau de la censure pis j’ai l’impression que c’est plus tourné vers l’œuvre en soi. Le clip va être une œuvre au même titre que la chanson. Moi l’art que j’ai le plus ‘consommé’, si tu me permets l’expression, ça reste le cinéma. J’écris souvent en m’imaginant que c’est un petit film ou un court-métrage, ou des pièces cinématographiques. Comme dans mon écriture, ce qui est trash, ce qui est sombre, c’est ma zone de confort. Dans le fond, le clip [de Crystel] c’est littéralement un ramassis de clins d’œil à pleins de réalisateurs (il cite Gaspard Noé, Fincher, Hitchcock, Lynch, Kubrick, Cronenberg). Tous les plans sont justifiables avec un réalisateur dans le fond. Ça peut paraître gratuit, c’est très trash. Mais à mon sens c’est pas gratuit. »
Dans cet univers glauque, la drogue fait souvent apparition, lui-même ayant avoué en entrevue en avoir consommé pour s’inspirer. « Je fais ça avec parcimonie, c’est important de le dire. Y’a quand même du monde dans ma crowd qui sont susceptibles de consommer de la drogue, t’sais je veux pas dire trop n’importe quoi non plus. En fait, la drogue va t’amener à des places où tu n’irais pas autrement. Au même titre que la sobriété va le faire aussi. La sobriété m’amène dans beaucoup de places où la drogue me permettrait jamais d’aller. Ce qui est pas une mauvaise chose. C’est important de faire la nuance aussi entre consommer pour créer pis consommer pour n’importe quelle autre raison quand t’es un créateur. Je pense que y’a plus de gens dans la deuxième catégorie. Même moi quand je consomme la plupart du temps c’est plus dans la deuxième catégorie que dans la première, mais parfois ça arrive dans la première. C’est une question de se connaître aussi. De métabolisme pis de dose. La limite est mince entre, mettons, manger assez de mush pour avoir un petit frisson dans l’échine, pis avoir les idées juste un petit peu plus frisées, que de trop en prendre pis être couché sur le tapis pis que là ça donne absolument rien. Pis rendu-là, c’est pas toutes les drogues non plus ; moi si je fume un bat j’écris rien de bon. »
L’entrevue s’étant déroulée une semaine avant le gala de l’ADISQ, il répondait avec nonchalance mais gratitude à la mention de sa nomination : « Comment je me sens ? Ben t’sais, j’vais être ben franc, hum pour moi ça vaut ce que ça vaut, je m’en suis toujours crissé un peu. Genre je m’en fous un peu mais, c’est flatteur ; je suis très très très heureux, je suis très content. Mais moi dans ma tête, je suis pas plus riche, autant au sens propre qu’au sens figuré. Par contre, pour les gens de l’équipe Spectra, qui est ma maison de disque, je dis tout le temps merci à la maison. Y’a beaucoup de gens qui se fendent le cul en quatre pour mon projet. Pis c’est gens-là sont fiers pis vraiment heureux de me voir nommé. Juste pour ça, ça va me faire plaisir d’aller au Gala pis d’être dans salle pis je me ferai pas chier à le faire. Parce que ces gens-là pour eux c’est comme la fois dans l’année où ils récoltent le fruit de leurs efforts. Ça serait un peu ingrat de ma part de pas y aller. »
Et fidèle à sa promesse dans son discours de remerciement il a pris la peine de mentionner ses collaborateur. Brach est quant à lui bien resté lui-même jusqu’à la dernière seconde de son discours fébrile : « Bref euh désolé aux gens que j’ai oublié euh malheureusement j’ai pas de papier, je suis un peu stressé et j’ai un orchestre qui me pousse dans le cul. Sur ce, voyagez, pis attendez pas après ça pour faire de la musique. » On se dit qu’une bonne partie du public doit déjà attendre la suite pour cet artiste pas comme les autres.
Bonus ! Le questionnaire de Proust
- Votre mot préféré : Ah wow… je te dirais « Nature ».
- Votre mot détesté : « Podium » ! Ça sonne mal !
- Votre drogue favorite : Hum… je te dirais là… euh ouais l’acide.
- Le son ou le bruit que vous aimez : Un ventilateur.
- Le son ou le bruit que vous détestez : T’sais des cillements de télé des fois, avec les télés cathodiques. Ça c’est un son que me donne envie de fesser.
- Votre juron, gros mot ou blasphème favoris : Hum… j’en ai beaucoup de d’ça ! Euh… ouais « tabarnak » c’t’un bon vieux classique.
- Homme ou femme à mettre sur un billet de banque : Sur des billets de banque ? Ah wow, yé ben l’fun Proust ! Y’en a plein, c’est sûr que y’en a plein… vite de même j’te dirais Nelson Mandela.
- Le métier que vous n’auriez pas aimé faire : Professeur.
- La plante, l’arbre ou l’animal dans lequel vous voudriez vous réincarner : Ooh… Un bonzaï.
- Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise après votre mort : Que je vais être pardonné, que je vais être pardonné pour tout ce que j’ai fait ! Si je dis pas ça je suis un peu fucked. Ouais j’aimerais qu’il me pardonne parce que sinon je vais passer un mauvais quart d’heure avec Dieu.