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Évolution ou révolution ?

Il ne suffit pas d’adapter le capitalisme à l’environnement.

Mahaut Engérant

Pour un œil extérieur, le mouvement environnemental n’est peut-être qu’un seul bloc uni dans la protection des ours polaires et des coraux. Quand on se penche vraiment sur cette communauté, on découvre au contraire une très grande diversité d’activistes, avec différents enjeux et différentes visions. La majorité a pour objectif de transformer les sociétés humaines pour que l’utilisation des ressources planétaires soit viable et juste à long terme, dans le propre intérêt de l’espèce. Cependant on peut les diviser très grossièrement en deux sous-groupes : modérés et radicaux, ou évolutionnaires et révolutionnaires. Cet article se propose de prendre le parti de la seconde catégorie. En effet, bien que les solutions proposées par les modérés soient importantes, se limiter à celles-ci est un comportement dangereux.

Quelle politique énergétique ?

Une proposition évolutionnaire majeure est la transition vers les énergies renouvelables : solaire, hydraulique, éolienne. L’idée est de produire de l’énergie de manière cyclique pour stopper le transfert instable de carbone du sol vers l’atmosphère. Toutefois, bien que le développement et l’amélioration de ces sources d’énergie soient une nécessité, il n’est de toute façon pas réaliste de consommer autant d’énergie qu’actuellement. Construire des barrages, des éoliennes, des panneaux solaires et des turbines sous-marines requiert un investissement phénoménal de ressources et d’énergie. Il en va de même du côté du consommateur : remplacer son (ou ses quatre) auto(s) pour une version hybride représente un coût énorme pour un ménage. On se concentre souvent sur le coût en ressources et en énergie, mais il ne faut pas oublier que le côté financier est tout aussi déterminant. La solution consiste donc d’abord à trouver des moyens de réduire drastiquement notre consommation d’énergie, pour ne pas avoir à en produire autant.

« Écoblanchiment »

Le culte des gestes éco-citoyens et l’écoblanchiment (on peut aussi utiliser le terme anglais greenwashing, ndlr) ont été les objectifs principaux des politiques environnementales et des entreprises pendant de nombreuses années. J’adhère complètement à ce principe. Essayer de réduire son impact en tant que consommateur est noble et peut avoir un effet à grande échelle. De plus, je suis convaincu qu’un consommateur est un électeur : chaque dollar dépensé soutient un certain type de production. Il faut cependant garder en tête que le recyclage nécessite une certaine quantité d’énergie, qui selon les produits peut égaler voire surpasser le coût énergétique d’un nouveau bien. Passer deux minutes de moins dans la douche économise 16 litres d’eau ; ne pas acheter une livre de bœuf en économise 8 000. Acheter du chocolat « commerce équitable » peut sembler une bonne idée ; mais un kilo de chocolat nécessite une quantité importante d’eau et de surface déforestée, en plus de l’impact induit par le fait de l’amener de l’autre bout du monde en cargo. Une fois encore, il n’est pas question de vous faire culpabiliser. Avant un examen, je me défoule parfois sur une boîte de biscuits au fudge. Et je ne veux pas non plus que vous vous disiez simplement « Je vais manger moins de bœuf » ou « Je vais m’éclairer à la bougie ». 

Cependant, il doit être établi que la survie de notre espèce ne peut pas être assurée par des ampoules basses tensions et du papier recyclé. Je n’accuse pas mes lecteurs, ce serait contre-productif. La plupart d’entre nous ne sommes pas coupables ; nous ne sommes pas forcément conscients de notre impact dans le système de consommation. Nous vivons dans une structure économique tellement complexe et atomisée que nous sommes complètement déconnectés de la production de ce que nous consommons — quand nous y avons tout simplement accès — et du devenir de nos déchets. Il est dangereux de penser qu’on « aide la planète » quand notre impact n’est qu’un peu moins pire. En maintenant cette ignorance, les responsables politiques et les corporations permettent aux consommateurs de garder une bonne conscience tout en continuant d’exploiter notre futur pour le profit à court terme des actionnaires. 

Il est important est de développer un esprit critique par rapport à notre consommation personnelle et de se demander constamment comment notre système peut être amélioré. Ce n’est pas parce qu’un produit arbore les couleurs du recyclage que sa consommation aura un impact positif.

Une révolution sociale, économique et politique

Comme je l’écrivais plus haut, nous sommes devenus totalement déconnectés des systèmes de production et de traitement des déchets. La nourriture vient du supermarché et disparaît dans la poubelle. En maintenant ce mode de pensée réductionniste, nous participons involontairement à une structure qui exploite les peuples les plus vulnérables, les générations futures, et accessoirement une bonne partie des formes de vie sur Terre, au bénéfice d’un nombre relativement petit d’individus. En incluant le développement des énergies renouvelables, nous devons créer des économies démocratiques et localisées. Nous devons abandonner l’agriculture industrielle d’entrée de jeu, et la remplacer par une agriculture biologique, et si possible par la permaculture ou l’agriculture naturelle. Nous pourrions ainsi réduire nos émissions, notre consommation d’eau et de terrain, combattre la déforestation et la désertification et rétablir la productivité des sols. Nous devons nous éloigner de la tendance actuelle à la surconsommation de viande. Nous devons consommer la nourriture la plus locale possible, et que celle-ci soit subventionnée à l’inverse des importations injustes et artificiellement bon marché, qui devraient, elles, être taxées.

Nous devons localiser nos industries et produire moins, déconstruisant au passage notre culte de la consommation. La production doit être contrôlée majoritairement par les employés, et non par les actionnaires, puisque les employés n’ont aucun intérêt à endommager leur environnement local, par exemple, en forçant à des extractions minières irresponsables. Plus les employés et les consommateurs auront un regard sur les méthodes de production et de traitement des déchets, plus nous serons au courant des conséquences de nos actes et pourrons rectifier nos erreurs. Les émissions de gaz à effets de serre doivent être taxées pour rétablir leur coût réel : il est du devoir des émetteurs de payer pour les conséquences du changement climatiques, par exemple les dégâts occasionnés par l’augmentation des ouragans ou la montée des eaux. 

La réponse est aussi politique. Nous vivons dans un monde où les nexus États-corporations ont le plus de pouvoir, suivis par les organisations internationales, puis finalement le peuple. De vrais systèmes démocratiques doivent être établis à une échelle réduite. Les États perdraient une bonne partie de leur pouvoir au profit d’unités plus petites qui géreraient démocratiquement l’utilisation des ressources et le développement des infrastructures, ainsi que les services sociaux. Les institutions internationales doivent être connectées à ces unités pour vraiment prendre en compte les besoins de chacun et gérer notre impact environnemental sans être biaisées par les intérêts privés.

Mahaut Engérant

La fin d’un monde globalisé ?

« Remettre en question la mondialisation est un retour en arrière et est complètement irréaliste », diront certains. Contre cet argument, je dirais que la mondialisation économique est un phénomène relativement nouveau. On peut la dater du colonialisme, lorsque les ressources étaient extraites par la force des pays non-occidentaux. Cependant la structure économique dans laquelle nous vivons remonte essentiellement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et a été renforcée après la guerre froide. Dans ce système les organisations mondiales telles que le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale répondent aux intérêts de multinationales en forçant l’ouverture des frontières économiques, tout en fermant les yeux sur les pratiques de ces entreprises et la nature artificielle de leurs prix. Cette structure n’est pas par essence moderne ; elle est par essence anti-démocratique et une forme d’exploitation institutionnalisée. Fukuoka écrivait : « ceux qui veulent adapter le capitalisme à l’environnement sont plus concernés par la protection du capitalisme que par celle de l’environnement ». Changer de paradigme est un défi de taille pour notre espèce. Mais dans l’intérêt de l’ensemble de l’humanité, nous devons abandonner le capitalisme. J’irais jusqu’à dire qu’à long terme nous n’avons pas le choix. 


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