Alors que la préservation de l’environnement n’était pas encore dans les consciences collectives, que la déforestation intensive n’attirait pas les inquiétudes et que le commerce international était en pleine émergence, un forestier de Colombie-Britannique a eu une épiphanie. C’est ce que relate Le jugement d’Hadwin, nouveau long-métrage du vancouvérois Sasha Snow. Produit par l’Organisation Nationale du Film (ONF), le film sera à l’affiche au Cinéma du Parc du 23 novembre au 3 décembre.
Le combat d’un forestier illuminé
Amoureux des arbres dans son travail, qui est de repérer les groupements d’arbres de la meilleure qualité possible pour la coupe à blanc, Hadwin est un ingénieur forestier qui voit sa forêt comme un univers parallèle magnifique. Témoin et complice de la destruction de l’écosystème de l’archipel Haida Gwaii, dont les arbres sont sacrés selon les traditions du peuple autochtone Haida, Hadwin réalise qu’il ne peut plus supporter le massacre. C’est bien un massacre que dépeignent les images tournées par Sasha Snow, comme s’il mettait en scène meurtre après meurtre, sauf que les corps qui s’étalent lourdement sur le sol sont d’énormes troncs centenaires. C’est à la vue de cette dévastation croissante que le forestier entreprend de s’attaquer au commerce boisier de la Colombie Britannique.
Le film est une reconstitution du combat d’Hadwin, de son quotidien d’ingénieur à l’achèvement de sa lutte, en passant bien sûr par l’épiphanie douloureuse qui fait partie de ce crime géant qu’est la coupe à blanc. Obsessif, fort, déterminé, Hadwin est présenté comme un surhomme par ses pairs. Pour le spectateur, l’homme oscille entre le héros et l’illuminé. C’est certainement parce qu’on ne nous laisse pas entrer dans sa tête : il ne parle jamais directement dans le film. Il exprime sa rage contre l’affront fait à la planète en écrivant des lettres à ceux qui sont au pouvoir, mais ne parvient jamais à être entendu. Snow a mélangé les entrevues avec des témoins qui ont connu Hadwin, mais aussi la fiction et la dimension mythique en mettant en parallèle la croisade solitaire du forestier que personne n’écoute avec les légendes du peuple Haida. Les deux dimensions finissent par se rejoindre de façon fracassante, autour du symbole mythique de l’arbre d’or, permettant de toucher profondément le spectateur. Sasha Snow parvient en fait à transformer le souvenir tragique d’un homme, qui s’est attaqué à beaucoup plus grand que lui, en conte prophétique touchant.
Sasha Snow fait un travail de mise en scène remarquable, d’abord par l’intelligence du récit, mais aussi et surtout en produisant des images à couper le souffle. L’archipel Haida Gwaii apparaît à la frontière entre l’immensité paisible de la Colombie Britannique et le Pacifique en constante agitation. L’archipel subit également les pressions du commerce international sur l’exploitation forestière et les traditions d’un peuple autochtone qui est là depuis des centaines d’années. Les dualités sont essentielles dans la formation des tensions qui rendent le film si profondément intense. Il n’est pas étonnant que Sasha Snow ait reçu le prix du cinéaste écologiste de la décennie des Green Planet Movie Awards en 2010.