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Un taxi vert et rentable

Petite révolution dans l’industrie du taxi montréalais.

Matilda Nottage

À la demande de citoyens désirant profiter de la visibilité de la COP21, l’Office de Consultation Municipale de Montréal (OCPM) lançait le 29 octobre dernier la première phase d’une consultation en ligne permettant de proposer des solutions à la réduction de la dépendance aux énergies fossiles. En moins de vingt jours, plus de 3 000 interventions en lignes ont eu lieu, s’est réjouie la présidente de l’OCPM, dont 60% concerne le milieu du transport.

Bien que cette consultation soit loin d’être terminée, un rapport devra être soumis au conseil municipal à la fin du printemps 2016, l’opinion des Montréalais semble être claire. Les idées proposées foisonnent, on parle de la prolongation de la saison cyclable, autopartage et covoiturage 2.0, uniformisation des tarifs pour le transport en commun, etc. Le tout devrait aider la ville dans ses objectifs, elle qui entend réduire ses émissions de 30% d’ici 2030 par rapport à 1990, sachant que l’ensemble des transports produit près de 40% des émissions à Montréal.

Téo Taxi

À cette nouvelle, le projet Téo Taxi (transport écologique optimisé) d’Alexandre Taillefer a quelque chose de prophétique. Déjà au mois de juin 2015, l’homme d’affaires québécois annonçait l’introduction d’un millier de taxis électriques dans le réseau de taxis de Montréal vers juin 2017. La compagnie Taxelco (TaxiElectricCompany, ndlr), qui dirige le projet, entend investir 250 millions de dollars. Depuis le 26 novembre, le projet pilote est officiellement en marche avec 50 taxis dans les rues et l’objectif a grimpé à près de 2 000 taxis d’ici 2019. 

Sur le site Internet, on apprend que les taxis sont équipés d’une application mobile de géolocalisation dite « performante », de paiement par mobile, de connection internet et bientôt de tablettes numériques. En plus d’un moteur électrique silencieux, et d’émissions de gaz à effets de serre nuls, les taxis représentent une énorme économie sur le carburant. Quand un taxi normal dépense environ 15 000 dollars par année pour l’essence, un taxi électrique ne coûte que 3 000 dollars par année. Ces voitures demandant d’être rechargées, le projet comporte l’implantation de bornes de recharge électrique, une pour huit taxis, avec lesquelles on devrait pouvoir recharger complètement une voiture en moins d’une heure. En ce qui concerne les températures froides de l’hiver qui réduiront inévitablement l’autonomie des batteries, Taillefer prévoit d’entreposer des voitures déjà rechargées qu’il sera possible de venir échanger avec les voitures vides par souci d’efficacité.

Toutefois, si Hydro-Québec travaille de concert avec Téo Taxi dans la confection des bornes de recharges, les voitures, elles, ne seront pas issues de l’expertise québécoise. Taillefer affirmait déjà à la presse en juin que cet aspect ne figure pas dans les plans de la firme. Pour l’instant, trois modèles sont disponibles, soit la Kia Soul, la Nissan Leaf ou une Tesla. Le projet se présente comme un alliage unique au monde entre entrepreneuriat et environnement.

Matilda Nottage

Un nouveau modèle

En entrevue à Radio-Canada, M. Taillefer apportait des précisions. À Montréal, les permis de taxi sont donnés par la ville de Montréal et aucune augmentation n’a été noté les vingt dernières années. Le nombre de taxis en circulation doit donc rester constant. Les compagnies de taxis ne sont pas propriétaires des permis, c’est un intermédiraire qui gère les taxis à travers la ville. Ce sont les individus qui achètent les permis ; une personne pouvant en posséder jusqu’à vingt. Taxelco a déjà acheté la firme Taxi Hochelaga et entend louer plusieurs permis de taxi aux propriétaires. Ce faisant, ils pourront fournir les taxis électriques Téo et continuer le service de voitures régulières pour ceux qui ne sont pas prêts à prendre le virage électrique.

L’avantage certain de Téo Taxi réside pourtant dans son mode de paiement. Un chauffeur de taxi régulier aujourd’hui est un chauffeur autonome qui, dans la majorité des cas, loue sa voiture à un propriétaire de permis. Radio-Canada estime que le salaire moyen (sans préciser si le pourboire y est inclus) après les dépenses reliées à la location, l’essence et autre revient à environ huit dollars de l’heure à raison de soixante heures par semaine. Téo Taxi entend engager les chauffeurs comme des employés réguliers qui seront payés quinze dollars de l’heure pour 40 heures par semaine.

Le cas Uber

Cette tentative de révolutionner, voire de ressusciter le marché du taxi à Montréal n’est pas sans lien avec l’arrivée de la compagnie Uber. Depuis son arrivée à Montréal en octobre 2014, les chauffeurs de taxi en sont furieux et leur clientèle diminue considérablement. D’abord, on ne parle pas ici de la branche Uber, qui offre les mêmes tarifs que les chauffeurs réguliers. C’est la branche UberX (UberPop en Europe) qui dérange. Il s’agit d’un service de taxi qui permet à pratiquement n’importe qui, après une brève étude de son casier judiciaire, de se servir de sa propre voiture pour transporter monsieur tout-le-monde. Le tout est géré par une application qui permet de voir la proximité des taxis aux environs et qui automatise les transactions. On y rentre et on en sort rapidement. Sans compter que, puisqu’il n’y a nul paiement de permis ou de taxes, les tarifs y sont considérablement moins chers, sauf en cas d’achalandage élevé, et le revenu des chauffeurs plus élevé. Les clients peuvent ensuite attribuer une note au conducteur, ce qui permet de garder le service à un niveau élevé ; une note trop basse empêcherait le conducteur de continuer à pratiquer. Les chauffeurs de taxi réguliers sont littéralement en guerre contre eux, affirmant qu’ils sont illégaux. D’ailleurs, Denis Coderre, maire de Montréal, et le ministre du Transport Robert Poëti vont dans le même sens. Plusieurs arrestations de chauffeurs Uber ont effectivement eu lieu à Montréal.

Le projet se présente comme un alliage unique au monde entre entrepreneuriat et environnement.

Quel avenir pour Téo ?

Alexandre Taillefer ne s’en cache pas, c’est UberX qui est à l’origine de sa tentative de révolution du taxi. Désirant rester dans le cadre légal, il sera intéressant de voir si son projet pourra effectivement se débarrasser d’Uber dans les cinq prochaines années. Par exemple, rien n’empêche un chauffeur d’UberX d’utiliser une voiture électrique. En effet, les subventions du gouvernement du Québec à l’achat d’une voiture électrique (8 000 dollars par voiture) dont bénéficie Téo sont disponibles pour tous les citoyens. Et de toute façon, l’écologie véritable des voitures électriques est fortement débattue du fait de la pollution que la batterie peut causer une fois jetée. En ce qui concerne les tarifs, Taillefer affirme en offrir de moins dispendieux, mais reste nébuleux à ce propos. Ce qui revient constamment ce sont les options de tarifs réduits durant les soirées ou pour les allers à l’aéroport ; rien pour supplanter Uber encore. Le projet de l’investisseur québécois est toutefois très ambitieux, sociétal plus que simplement capitaliste. Ainsi, en entrevue à Radio-Canada, Taillefer affirmait vouloir réduire le nombre de voitures des Montréalais.


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