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Cinéma n.f.

En tête à tête avec Julie Gayet. 

Inès Léopoldie-Dubois
Inès Léopoldie-Dubois

Présentation de Julie Gayet 

Julie Gayet est une actrice, productrice et réalisatrice de documentaires française. C’est sous ces trois titres que le festival de Film Cinémania, ayant eu lieu du 5 au 15 novembre, l’a invitée pour sa 21e édition. L’actrice s’est fait connaitre avec le premier rôle féminin dans Delphine 1, Yvan 0 de Dominique Farrugia, et on a pu la voir récemment aux côtés de Thierry Lhermitte dans Quai D’Orsay de Bertrand Tavernier.

Certains films dans lesquels elle a joué – Turbulence des Fluides de la réalisatrice québécoise Manon Briand et 8 fois debout de Xabi Molia – ont été présentés à la Cinémathèque québécoise à l’occasion du Festival Cinémania. Le film Taulardes, d’Audrey Estrougo, produit par Julie Gayet, a quant à lui été présenté en première nord-américaine au Cinéma Impérial. Le festival a aussi honoré les deux documentaires co-réalisés par Julie Gayet – avec Mathieu Busson : Cinéast(e)s et Cinéastes. Dans le premier, elle réunit une vingtaine de femmes réalisatrices françaises, s’exprimant sur leur métier et la place qu’elles y occupent. Dans le second, c’est cette fois à 17 réalisateurs français qu’elle demande, en tête à tête, si le cinéma à un sexe.

Julie Gayet est aussi devenue depuis deux ans un personnage médiatique français, voir international, du fait de sa relation amoureuse avec le Président français François Hollande.


Le Délit (LD): Vous venez au festival Cinémania en portant plusieurs chapeaux, celui d’actrice, de réalisatrice de documentaire et celui de productrice. Pourquoi avoir décidé de vous lancer dans la réalisation et la production ?

Julie Gayet (JG): Le métier d’actrice c’est depuis toujours, je fais ça depuis l’âge de 14 ans. Donc je m’amuse, j’adore ça, il y a vraiment une certaine liberté. Mais ça prend beaucoup de temps et je ne suis plus certaine de vouloir donner ce temps.

Puis pour moi la réalisation c’est un travail d’artiste. Tous les artistes ont une vision du monde qui nous permet de changer la nôtre. C’est ce cinéma-là que j’aime : un cinéma de metteur en scène.  Je ne me sens pas réalisatrice à côté de ces réalisateurs que j’admire et que j’essaye de comprendre dans mes documentaires. Mais si je continue de faire ces petits documentaires c’est parce qu’étant productrice et comédienne, ils ne me parlent pas de la même manière et ça c’est très important.

LD : Donc plutôt productrice ?

JG : Oui donc plutôt production. Et en réalité je me rends compte que c’est vers là que je vais, que je suis, que j’ai trouvé ma place. Après, actrice, partir tourner, c’est rigolo j’adore ça ; mais je peux plus dire que c’est une priorité. Je n’abandonnerai pas le bureau et nos projets pour aller jouer.

LD : Revenons aux documentaires que vous avez co-réalisé à propos des cinéastes et des sexes. Une des questions centrales que vous posez à des cinéastes – femmes et hommes – est de savoir s’il existe des « films de femmes ». Est-ce que vous avez déjà ressenti ce fameux côté « film de femme », cette différence de style, lorsque vous avez tourné avec des réalisatrices ?

JG : Ce que j’essaye de dire dans ce documentaire c’est qu’il n’y a peut-être pas une mise en scène féminine ; mais peut être une écriture féminine comme dans la littérature. Des sujets et une façon de traiter les sujets.

LD : Justement, étant donné les documentaires que vous avez fait et leur sujet : pensez-vous que ce sont des « documentaires de femme » comme on dit « des films de femme » ?

JG : (Rires) C’est une bonne question ! C’est pour ça qu’on est allé poser la question aux hommes ! D’ailleurs quand on a présenté le second documentaire (dans lequel des hommes cinéastes sont interviewés au sujet des femmes cinéastes, ndlr) à la cinémathèque québécoise, il y a eu plus de surprise de la part des spectateurs. Ça a beaucoup plu car c’est une conversation. Les hommes interviewés admettent tous quasiment que c’est la première fois qu’on leur pose la question et qu’ils ne s’y attendaient pas du tout. Alors qu’il n’y a pas une réalisatrice pour qui ça n’a pas été la première question qu’un journaliste lui a posé : « C’est quoi d’être une femme et de réaliser un film ? ». Donc elles ont toutes une réponse hyper préparée. Beaucoup répondent que « ça n’a rien à voir » parce que comme ça on ne les emmerde pas, puis c’est une posture. Alors que les hommes non seulement on ne leur avait jamais posé la question, mais en plus ils n’y avaient jamais réfléchi.

 « Comme comédienne, je vais là où je ne vais pas comme productrice. »

LD : …donc pas un documentaire de femmes (rires). Un documentaire féministe peut-être ?

JG : Ah non pas du tout. C’est un documentaire qui essaye de donner une vision de là, au temps T, en 2015, qu’est ce qu’il se passe.

LD : Alors que se passe-t-il ?

JG : Sur le principe que les hommes et les femmes ne réalisent pas de la même manière… moi j’ai vraiment l’impression que c’est pareil.

Après c’est juste l’idée d’une égalité qui est intéressante, l’idée qu’il n’y a pas de discrimination. Ce n’est pas parce qu’on est une fille qu’on n’aurait pas accès à certaines professions. C’est cette réflexion-là qui m’intéresse : de voir pourquoi dans les écoles de cinéma, c’est 50/50 filles-garçons et pourquoi ensuite c’est plutôt 10% de femmes dans le meilleur des cas. Et pour le coup, la France est une exception dans le monde. C’est là où il y a le plus de réalisatrices : elles représentent 27% des cinéastes.

LD : Justement, un des films pour lequel vous avez joué, aussi présenté au festival Cinémania, La turbulence des fluides, a été réalisé par une réalisatrice québécoise (Manon Briand, ndlr). Diriez-vous que le statut de la femme cinéaste est différent au Québec, ou en Amérique du Nord qu’en France ?

JG : Alors il y plus de femmes cinéastes en France qu’en Amérique du Nord. En Amérique du Nord elles sont plutôt à 10% quand on est dans du cinéma d’art et d’essai. Et dès qu’on rentre dans les gros studios américains, elles ne sont plus que 3%.

Et au Québec, quand je suis arrivée ici j’ai demandé à deux-trois personnes, à des journalistes : « Alors est ce que vous pourriez nous donner le nom des deux ou quatre réalisatrices québécoises qu’on peut pas rater, outre Manon Briand ? ». Là c’est drôle, parce que j’ai eu un grand blanc avec : « euhh  alors attendez alors euuhh alors il y a…». C’est pas si évident en fait. Mais de nouvelles nanas, de nouvelles réalisatrices, arrivent et sont en train de changer ça. Et donc maintenant, avec mon coréalisateur Mathieu, on est en train de préparer un troisième documentaire dans lequel on interview des cinéastes du monde entier.

LD : Justement en parlant de progrès vers l’égalité… Il y a un autre sujet que vous abordez dans vos deux documentaires, c’est l’idée de parité. C’est une idée qui progresse dans beaucoup de milieux. Nous, au Canada, on l’a vu dernièrement avec le gouvernement de Justin Trudeau qui est à 50–50 hommes-femmes…

JG : Nous on a déjà ça en France ! (Rires)

LD : (Rires complices) Mais la parité dans le monde artistique, et tout particulièrement celui du cinéma, paraît beaucoup plus difficile à faire passer. Ça fait beaucoup plus de débat. Pourquoi, et surtout qu’en pensez-vous ?

JG : Ça vient surtout des femmes qui ne veulent pas être choisies par quotas, puisqu’on est dans quelque chose d’artistique.

Mais il y a eu des discussions : j’étais à Berlin et en Allemagne il y a moins de films de cinéma produits que de téléfilms. Pour les téléfilms on est moins dans le choix, c’est plus des commandes. Même si c’est de l’artistique, là on va mettre des quotas. Donc on est plus en train de diviser et dire : il y a des endroits où on pourrait le faire et des endroits où on ne pourrait pas.

En France, récemment, des mesures de parités ont été prises en ce qui concerne la nomination des femmes à des postes clés de lieux culturels. Donc il a de quoi se poser la question pour le cinéma.

Moi je trouve que la discussion doit venir.  Qu’est ce qui fait que dans les studios américains ce sont les femmes qui sont à la tête des studios mais ce ne sont pas des femmes qui réalisent les films ?  Après est-ce que c’est les femmes qui s’interdisent de faire certaines choses, qui préfèrent être dans l’ombre, qui sont souvent scripts, conteuses… d’où ça vient, pourquoi ? Maintenant il faut qu’on essaye de changer ça, nous.

LD : J’ai une question, elle n’a pas vraiment de rapport avec votre vie privée, car c’est quelque chose que je ne me permettrais pas d’aborder. Dans vos documentaires sur les cinéastes vous parlez du rôle que les médias donnent aux femmes cinéastes, en les dépeignant comme femmes avant d’être cinéastes. Est-ce que vous vous avez déjà ressenti ça, d’être décrite comme « femme de » avant tout autre chose dans les médias ? (les médias ont beaucoup parlé de Julie Gayet comme la compagne du Président français, ndlr).

JG : Moi pas du tout. Parce que je suis très indépendante. J’ai toujours dit « moi » toute seule. Tu vois je n’ai jamais voulu être aidée ou définie.  Mais même avant…. (hésitation). Vous dites de ne pas me poser de questions sur ma vie privée mais on ne m’en a jamais posé. Car je n’ai jamais répondu, j’ai toujours attaqué les journaux. Je n’ai jamais voulu en être là, alors que si on veut en être là on peut l’être, c’est pas très compliqué… Et ça ne m’intéresse pas du tout. J’ai beaucoup de pudeur, j’ai toujours eu du mal avec ça.

LD : Et, étant tout de même devenu un certain personnage médiatique, quel rebond cela a‑t-il eu sur votre statut dans le cinéma ? 

JG : Il y aura forcément eu des choses positives et des choses négatives pour tout. Ce n’est pas à moi d’en juger. Moi, après, je continue de faire exactement la même chose qu’avant.

LD : On va arrêter là-dessus… (Rire général) En parlant de continuation, quels sont vos nouveaux projets ? On vous a vu dans la série 10% aux cotés de Joey Starr. Que souhaitez-vous faire après ?

JG : J’ai une société de production qui produit beaucoup. Comme actrice, je fais des films que je ne saurais produire ou que je ne produis pas. Donc je me suis bien marrée avec 10%  – je ne produis pas de série télé. Là je sors d’une comédie pour enfant avec Julie Depardieu où on a bien rigolé. Comme comédienne, je vais là où je ne vais pas comme productrice.

LD : On a une dernière question, qui est notre question habituelle. On produit notre journal tous les lundi soirs, et vous avez l’habitude du travail d’équipe et de production… donc quelle musique mettriez-vous un lundi soir pour relancer notre équipe ? 

JG : Haha c’est drôle ! (Rires)

LD : C’est décisif. (Rires)

JG : Alors nous on fait ça aussi au bureau, on le fait de temps en temps… (hésitations) mais alors là, je réponds ça comme ça : je mettrai cet espèce de morceau de Buggles, « Video killed the radio star » !

LD : Approuvé.


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