« Officiellement, le couvre-feu à Montréal débute à deux heures du matin… mais n’y prêtez pas trop attention ». Ces quelques mots, rédigés par le journaliste canadien « Al » Palmer, témoignent d’une forte activité nocturne au sein de la ville dans les années 1950. C’est ainsi que débute l’exposition Scandale ! Vice, crime, et moralité à Montréal, 1940–1960, proposée par le Centre d’Histoire de Montréal jusqu’au 30 décembre 2016. Al Palmer est présenté comme un personnage incontournable de l’époque : « journaliste, homme du monde et fin connaisseur de la faune des cabarets, il vit au rythme des nuits chaudes de la métropole qu’il décrit dans ses chroniques »
Effervescence créative
Chaudes, ces nuits le sont effectivement. De nombreuses vedettes animent les différents quartiers de la ville ; parmi elles, le pianiste Oscar Peterson, qui deviendra un artiste de renommée internationale, et qui reste aujourd’hui l’un des plus grands musiciens au Canada. Les chanteuses Alys Robi et Muriel Millard sont également présentes, mais aussi le comédien Jean Guilda, l’animateur Jacques Normand, ou encore le dramaturge Gratien Gélinas, considéré de nos jours comme l’un des précurseurs du théâtre et du cinéma québécois contemporains.
La ville de Montréal est alors composée de nombreux lieux –dits– « de plaisir» ; « à l’angle de Sainte-Catherine et Saint-Laurent, les néons scintillent » : de nombreux clubs sont accessibles jusque tard dans la nuit, pour le plus grand bonheur des fêtards. Aussi, la drogue envahit la ville : « située au cœur d’un réseau maritime et ferroviaire avantageux, Montréal devient un véritable carrefour d’échanges licites et illicites ; les cabarets et les tavernes se comptent par dizaines et les débits clandestins opèrent sans permis pour satisfaire la clientèle ».
Système parallèle
Une véritable « famille du crime » se forge : Luigi Greco, Lucien Rivard, Max Shapiro, Frank Petrula, Harry Ship… de nombreux bandits profitent de la situation pour ériger de considérables réseaux de drogue. En parallèle, la prostitution s’accroît au sein de Montréal ; celle-ci est gérée par des femmes qui, « après avoir débuté leur carrière comme prostituées, deviennent généralement tenancières-propriétaires, sous la protection des gros caïds masculins ». C’est ainsi par exemple qu’en 1945, Ida Katz, alias Liliane-la-Juive, possède sept bordels au sein de la ville.
Dans ce climat saisissant, « la presse écrite joue un rôle crucial dans la dénonciation des activités criminelles qui sévissent à Montréal : à coups d’articles révélateurs, de titres accrocheurs et d’éditoriaux enflammés, les grands quotidiens et les journaux jaunes inondent la ville de scandales ». Les réactions sont alors nombreuses, parmi la population, certes, mais aussi chez les politiques qui organisent une véritable « opération nettoyage », notamment via l’initiative de Pacifique Plante, surnommé Pax Plante, avocat et policier de l’époque. Entouré de Pierre des Marais et de Jean Drapeau, « les réformistes » vont prendre de multiples mesures en vue de réduire le crime qui siège dans la ville.
Finalement, pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène, on pourrait citer une nouvelle fois Al Palmer, qui écrit dans les années 1950 : « notre ville est sans doute devenue l’agglomération la plus pittoresque du continent ; tout ce que nous offrent New York, la Nouvelle-Orléans, San Francisco — ou n’importe quelle autre ville, à bien y penser —, Montréal le possède, et plus encore. Une sacrée ville à visiter, une sacrée ville où vivre, une sacrée ville où revenir : nous en aimons chaque recoin crasseux ».