Le développement du commerce international et de la mondialisation au cours des trente dernières années a été récemment accompagné par une prise de conscience de la responsabilité sociale des entreprises. La nécessité du respect des droits humains fondamentaux occupe une place de plus en plus importante dans ce contexte. Mais parallèlement à cela, les entreprises continuent d’évoluer dans une hiérarchie où le profit économique est la priorité avant d’autres sujets tels que le bien-être social ou l’autodétermination des peuples.
Le rôle de l’éducation en général devrait placer les institutions universitaires en première ligne dans la promotion des droits humains et du respect de la loi internationale. Toutefois, lorsque l’on examine en profondeur les investissements des institutions académiques et leur partenariats avec d’autres sociétés du secteur public et privé nous sommes confrontés à des surprises et des déceptions.
Une affaire de complicité
L’occupation israélienne des territoires palestiniens est une manifestation nette de la négligence des droits humains et de l’absence de responsabilité sociale de la part d’un nombre important d’acteurs économiques de toutes sortes. Le contexte historique de cette situation très complexe et polarisée est indéniablement marqué par un rapport de force inégal : une occupation militaire et une violence sur des populations civiles ainsi qu’une impunité et une non-conformité à la loi internationale de la part de l’État occupant.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a condamné les agressions perpétrées par Israël sur les civils palestiniens en vertu de la 4e Convention de Genève. La Cour internationale de Justice a, elle, déclaré par un avis consultatif que « l’édification d’un mur par Israël dans […] le territoire palestinien occupé, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international ». En conséquence, les compagnies qui bénéficient économiquement ou financièrement de l’occupation illégale se retrouvent complices des non-conformités à la loi internationale ainsi que des violations des droits fondamentaux des Palestiniens.
Une partie significative de l’économie israélienne est dépendante du maintien de l’occupation. Elle permet une exploitation des ressources naturelles des Territoires palestiniens dans le meilleur des cas à bas prix ou à travers la confiscation explicite ou indirecte de ces ressources.
McGill a la main dans le plat
Le Comité de Conseil aux Questions de Responsabilité Sociale (CAMSR) de McGill veut, selon sa propre définition, recommander un désinvestissement de compagnies sources de « blessures sociales », et « d’activités qui enfreignent ou frustrent la mise en vigueur de lois internationales ou nationales destinées à protéger les individus contre la privation de leur santé, de leur sécurité et des libertés fondamentales ».
« McGill détient plus d’un million de dollars investis dans des compagnies qui bénéficient directement de l’occupation. »
Or, l’Université McGill se trouve indirectement impliquée dans ces violations. McGill détient plus d’un million de dollars investis dans des compagnies qui bénéficient directement de l’occupation. En tenant compte du mandat de CAMSR, il est surprenant qu’une institution comme McGill, qui promeut les droits humains, se retrouve dans une prise de position implicite à travers ses investissements économiques. Le soft power de McGill semble déplacé dans le contexte controversé d’une crise humanitaire et d’une dénégation de la loi internationale. Un rapport va d’ailleurs être soumis au CAMSR par le Réseau d’Action BDS de McGill (McGill BDS Action Network, ndlr), un groupe d’étudiants soucieux d’expliciter les liens contraires à l’éthique de McGill et de la responsabilité sociale de quatre entreprises clés : G4S, L‑3 Communications, la banque Mizrahi-Tefahot et Re/Max Holdings. McGill détient des investissements dans ces quatre compagnies.
G4S
La compagnie britannique de système de sécurité privée G4S a été l’objet d’une indignation générale au sujet de ses services dans les systèmes de prisons israéliens. Selon le rapport, de nombreux systèmes de sécurité et de défense ont été fournis dans des centres carcéraux (Ofer, Ketziot, Damon, Jérusalem, Kishon) qui retiennent des Palestiniens en détention administrative. La détention administrative est une procédure permettant aux autorités de maintenir en arrestation tout Palestinien pour six mois renouvelables indéfiniment, sans procès et sans même expliciter les chefs d’accusation. L’emploi de tortures physiques et psychologiques est connu dans plusieurs de ces prisons lors de détentions et d’interrogations.
G4S fournit également du matériel de sécurité (scanners, détecteurs de métaux) dans de nombreux postes de contrôles (Kalandia, Bethléem, Irtah) du mur de séparation, qui renforce l’annexion illégale de terres au détriment des moyens de subsistance et de la liberté des Palestiniens. L’activité de G4S dans les Territoires palestiniens occupés contribue donc manifestement à des violations de droits humains et de la 4e Convention de Genève dans le cadre de traitement de prisonniers et de transferts forcés de populations.
L‑3 Communications
L‑3 Communications est une compagnie américaine qui détient des liens approfondis avec l’armée israélienne. L‑3 leur a fourni du matériel de guerre et de communication clé, notamment durant l’opération « Bordure Protectrice » à Gaza qui fit, selon l’ONU, 1462 morts civils, dont 495 enfants. McGill détenait, au 30 septembre 2015, 727 969 dollars d’investissements dans L‑3 Communications. Ces activités sont des exemples d’actions qui empêchent la mise en vigueur de la loi internationale. La vente de moteurs diesel pour des chars de combat, la collaboration avec l’entreprise d’armement israélienne Elbit Systems pour le développement de drones Hermès 900 et l’approvisionnement de scanners aux postes de contrôle autour de Gaza contribuent à la violence perpétrée sur des populations civiles.
Re/Max Holdings et la banque Mizrahi-Tefahot
Re/Max Holdings et la banque Mizrahi-Tefahot sont des entreprises qui jouent un rôle clé dans l’expansion de colonies. Re/Max est une société immobilière dont les profits proviennent de ventes de propriétés construites sur des terrains saisis illégalement pour le développement de colonies. À cela s’ajoute la complicité du non respect de la 4e Convention de Genève, interdisant le transfert de populations d’un pays occupant sur des territoires occupés. Dans une note présentée à l’Assemblée générale des Nations Unies lors de sa 68e séance, le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les Territoires palestiniens occupés, Richard Falk, utilisait cette entreprise comme cas d’école pour décrire l’état de transgression de la législation internationale des droits humains. Il concluait qu’à travers ces ventes, Re-Max « contribue directement à des effets contraires aux droits humains ».
Le cas de la banque Mizrahi-Tefahot est similaire, du fait de ses investissements dans le développement de nouvelles colonies à travers des « accords d’accompagnements » qui la rendent en partie propriétaire de celles-ci. De plus, elle accorde des prêts financiers à des entreprises liées à la construction et à l’entretient du mur de séparation, dont la légalité est fortement contestée.
Comment donc expliquer dans ce contexte les investissements de McGill dans des entreprises dont les activités vont à l’encontre des principes de CAMSR ? Une revue détaillée des investissements de l’Université au vu de ces questions serait plus qu’opportune pour que l’implication de McGill soit conforme au respect des conventions internationales et de la législation des droits humains.