Après l’adaptation cinématographique de Boy A (2007), l’irlandais John Crowley signe cette année l’adaptation de Brooklyn, du roman éponyme de Colm Toibin, film triplement nommé aux Oscars dans les catégories meilleur film, meilleure actrice et meilleur scénario adapté.
À l’écran, pourtant, la poésie ne se libère pas tout à fait. L’alchimie entre deux cœurs, celui du réalisateur avec sa volonté de dire quelque chose et celui du spectateur avec son envie d’écouter, de comprendre, et parfois de répondre, n’opère pas. Avec un film d’époque, John Crowley aborde pourtant un sujet comme jamais d’actualité : l’émigration et le déchirement de se retrouver en terre inconnue. Eilis (Saoirse Ronan), jeune irlandaise qui peine à trouver du travail dans l’après-guerre, décide de partir s’installer aux États-Unis. Elle est à l’image de ce pays où elle pose les pieds : jeune et déjà déterminée, encore fragile mais conquérante.
Tout film devient un outil puissant capable de toucher le spectateur dans la mesure où il favorise le processus d’identification.
Dans Brooklyn, ce processus est chancelant. Il est difficile de rapprocher la vague d’immigration d’après-guerre et la nouvelle vague d’immigration dans laquelle nous baignons : les enjeux et les traumatismes ne sont plus les mêmes. Certains thèmes sonnent juste tout de même : le mal du pays, la difficulté de soutenir un sentiment d’appartenance. Force est d’avouer que John Crowley ne tombe pas dans le cliché du rêve américain (à l’exception d’un plan où Eilis, à son entrée sur le sol états-unien, est baignée d’une lumière quasi-divine), ni dans un constat socio-politique post-Seconde Guerre mondiale. Il trace un parcours à l’échelle humaine, un genre de récit initiatique à travers lequel nous suivons Eilis en terre étrangère : sa rencontre avec un Italien (Emory Cohen), son travail, ses cours du soir, sa vie dans une pension. Crowley prend le parti de ne pas tomber dans le drame à l’outrance, aidé par un jeu d’acteur d’une grande fraîcheur tout en étant chaleureux — on pense à celui du couple interprété par Saoirse Ronan et Emory Cohen.
« À l’écran, pourtant, la poésie ne se libère pas tout à fait »
Cependant, le résultat reste lisse et convenu, faute d’une mise en scène qui ne sublime jamais les émotions d’Eilis. Les plans, banals et (trop) soignés, auraient gagné en réalisme à être plus nuancés. En effet, l’évolution du personnage vers la compréhension du monde et de soi-même ne se révèle pas aussi convaincante que l’on aurait souhaité. Tous les défis auxquels l’héroïne est confrontée – l’éloignement et la culpabilité, la mort d’une sœur, le dépaysement, les incertitudes de l’amour, l’abandon – et la difficulté d’y faire face, sont édulcorés. La fin de ce récit initiatique, précipitée et manquant totalement de subtilité, finit d’achever la certitude que nous avons que Brooklyn n’a pas cherché autre chose qu’être un film grand public.