Accusé de pédophilie dans une nouvelle biographie par Yves Lever publiée chez Boréal mardi 16 février, Claude Jutra s’est vu contraint de descendre de son piédestal. Il ne s’agit pas de justifier les actes, car il n’existe aucune excuse pour ce genre d’agissement et ce, peu importe l’ampleur de l’influence qu’une personne a eue sur la culture québécoise. Toutefois, ces événements poussent au questionnement : à quel point est-il possible d’effacer quelqu’un de l’espace public ? Doit-on admirer l’œuvre d’un artiste condamné, l’applaudir pour son travail et ses réalisations ou tout simplement le renier, comme s’il s’agissait d’une tâche honteuse ?
Descente aux enfers
Depuis les révélations de Lever, une deuxième victime a révélé s’être faite agresser par le cinéaste. Il s’agit du scénariste Bernard Dansereau, âgé de douze ans aux moments des faits et qui a notamment travaillé sur la série québécoise Annie et ses hommes. Cependant, cet incident n’a pas empêché le scénariste et le défunt cinéaste de travailler ensemble une fois adulte. Depuis ces révélations, la communauté artistique québécoise est sous le choc car le nom de Claude Jutra est, en plus d’être associé à l’une des plus grandes récompenses du champ cinématographique québécois, le nom de plusieurs rues, parcs, corpus collégiaux et universitaires, etc. L’homme et son travail sont des géants qui représentent une très grande partie de notre réalité et histoire culturelle et, pour reprendre les mots de Patrick Lagacé dans l’édition du 18 février du quotidien La Presse, « il faut donc faire la part des choses entre l’homme et l’œuvre. Et il faut faire la part des choses entre l’homme et le cinéaste génial ». Les réalisations de l’homme doivent-elles subir les conséquences négatives de celui-ci ou sont-elles capables de s’élever au-dessus de la tempête ?
Faire disparaître Jutra à tout prix
Québec Cinéma, le gouvernement du Québec, les maires de plusieurs arrondissements de Montréal et même la nouvelle ministre fédérale du Patrimoine canadien Mélanie Joly s’entendent (pour une fois) sur une chose : le plus rapidement possible, il faut masquer le nom de Jutra. Effaçons-le donc de notre environnement afin de retirer les honneurs à l’artiste : Québec Cinéma est l’exemple le plus percutant. En plus de la polémique autour des accusations, la question de la postérité artistique reste un des enjeux les plus importants. Les prix Jutra cherchent dorénavant un nouveau nom, permanent ou temporaire, en vue du gala du 20 mars prochain. Profondément choqués par cette nouvelle, ils prirent la décision d’agir rapidement, sans même vérifier la véracité des accusations. Quelles options reste-t-il ? D’autres géants du cinéma québécois attendent impatiemment les honneurs qui leur reviennent. Michel Brault, Gilles Carle, Micheline Lanctôt, Denys Arcand ne sont quelques exemples d’artistes cinématographes dont l’influence est toute aussi importante que celle de Jutra ; et puisque l’occasion se présente, pourquoi ne pas établir un prix sans nom afin de, justement, placer l’art cinématographique sous la même bannière et non derrière une seule personne ?
Le cas Jutra semble donc se résumer à la réflexion suivante. Doit-on condamner l’homme pour ses agissements ? Très certainement. Doit-on réduire l’œuvre à l’homme ?