Note préliminaire :
Ma connaissance sur les sujets abordés n’est pas exhaustive et je ne prétends en aucun cas parler au nom des autochtones, d’autant que je profite moi-même de la colonisation en tant que blanc. Ma perspective s’appuie pour la plupart sur des rencontres avec des autochtones lors du panel de CKUT : « Communauté Indigène, Résistance et Médias ».
Cet article est délivré après le vote à l’Assemblée générale de l’AÉUM du lundi 22 février, où la motion pour augmenter le contenu portant sur les autochtones à McGill est passée à l’uninanimité des votants.
Un rocher se tient seul devant le muret donnant sur la rue Sherbrooke : le rocher Hochelaga. À l’abri des regards et loin des chemins déneigés, il est le seul témoignage visible de l’existence d’autochtones sur la terre colonisée sur laquelle McGill siège. Sa visibilité est à l’image de la place accordée à l’histoire de la colonisation et du génocide des Premières Nations à McGill : presque nulle.
La colonisation n’appartient pas au passé. Dimanche 14 février se tenait la marche commémorative annuelle en honneur aux femmes autochtones disparues et assassinées : un phénomène d’une grave ampleur qui fait partie d’une oppression et violence systématiques envers les populations natives, une colonisation qui ne dit pas son nom.
Choisir et écrire son histoire
Les deux derniers Faculty in Rez (faculté en résidence, ndlr) une série de conférences organisée par Rez Life, ne manquaient pas d’ironie. La professeure Charmaine Nelson parlait le 25 janvier dernier de la place des personnes de couleur dans l’art canadien, fortement marquée par l’esclavagisme et le colonialisme. Son parcours personnel en tant que seule canadianiste noire du Canada n’était pas sans rappeler l’intemporalité du problème de la représentation des personnes de couleur dans le corps professoral. La conférence suivante, le 15 février, donnait la parole à notre principale Suzanne Fortier. Ce fut l’occasion de lui demander : quelle est la politique de représentation des minorités à McGill, dans le corps professoral, lorsque l’on sait que seul un professeur de McGill est natif ? Quelle place donne-t-on à l’histoire colonialiste et génocidaire du Canada à McGill, lorsque l’on sait que la plaque se contentant de mentionner l’arrivée des colons est à peine visible, alors qu’un James McGill esclavagiste et colonialiste salue l’arrivée de tout visiteur et étudiant sur le chemin de l’université ?
« McGill a l’opportunité d’utiliser son rayonnement international pour se positionner sur des sujets cruciaux »
Certains autochtones demandent la restitution de l’Université (construite grâce à des « prêts » jamais acquittés aux populations natives) ou au moins des réparations. La propagation de symboles de reconnaissance, comme des reconnaissances de la terre (land acknowledgements, ndlr) pourraient aussi participer à la décolonisation des esprits. À ces demandes, Suzanne Fortier resta évasive. La principale avançait que les symboles n’auraient pas autant d’effet que l’on voudrait leur donner. Défendrait-elle alors des actions concrètes, comme une réponse aux demandes du retour de l’Université ou au moins de réparations ? Au regard de l’absence de discussion sur les actions possibles, il semblerait que la question ne vaut même pas la peine d’être posée…
De l’importance des symboles
Mais revenons-en aux signes. Quel est l’intérêt d’ériger des plaques, de reconnaître que les réunions que nous tenons sont sur une terre, Tio’tia:ké (le nom original de Montréal), que nous nous sommes appropriés par la force, de parler de l’histoire coloniale du Canada ? Ces symboles participent au changement du discours ambiant, questionnent notre privilège en tant que colons ou bénéficiaires d’un système colonial. Ils questionnent notre connaissance de Montréal, du Canada, et de la violence présente dans les mots utilisés pour faire disparaître Tio’tia:ké, son nom, son histoire, son peuple. Ils montrent du doigt l’incroyable travail colonial visant l’effacement des réalités autochtones et permettant le développement d’un système raciste.
Pourquoi les symboles sont-ils si importants ? Parce que la réalité coloniale se fonde aussi sur des symboles, sur des dénominations coloniales. Que la page du site internet de McGill à propos du rocher Hochelaga parle de la rencontre des explorateurs « naviguant sur le fleuve Saint Laurent », le nom donné à ce qui s’est toujours appelé Kaniatarowanenneh (« grande rivière »), suggère que les explorateurs sont arrivés sur un territoire qui leur appartenait déjà. Que des programmes éducatifs parlent encore de la « découverte » des Amériques et de son importance pour les empires européens fait oublier qu’à cela se soient ajoutés colonisation, appropriation et génocide d’un peuple qui persévèrent encore aujourd’hui. Tous ces symboles, ces dénominations, ces détails, ces oublis, mentionnés ou effacés, si futiles soient-ils pour Suzanne Fortier, deviennent les premiers outils du système colonial pour endormir les consciences, ou les premières étapes d’un réveil douloureux.
… et après ?
On a pu remarquer l’augmentation discrète d’initiatives étudiantes et d’associations extérieures à l’administration de McGill pour reconnaître à chaque début d’un événement le bénéfice que les participants retirent de la colonisation des terres où ils se trouvent (cela étant dit, tout cela reste encore très insuffisant au regard du tort infligé à ces populations). Quand est-ce que l’administration s’emparera aussi du sujet ? Il semblerait qu’au lieu de sauter sur l’occasion de mener par l’exemple, elle se contente d’attendre d’être elle-même saisie par les étudiants. McGill a l’opportunité d’utiliser son rayonnement international pour se positionner sur des sujets cruciaux, qui touchent ou devraient toucher ses étudiants. Si l’administration ne s’agite pas, il est de notre responsabilité de s’informer, discuter, changer les discours, entendre les voix autochtones sans se les approprier (au risque de répéter une tactique que l’on cherche à contrer).
« Pourquoi les symboles sont-ils si importants ? Parce que la réalité coloniale se fonde aussi sur des symboles, sur des dénominations coloniales »
Il ne faudra pas s’arrêter là. Nous avons le devoir de nous renseigner, d’interroger notre privilège et décoloniser nos paroles et actes. Chaque jour qui passe incontesté est un jour colonisé : un jour d’appropriation, d’enlèvement, de viol et de meurtre. Il est temps de parler des terres sur lesquelles nous marchons, dans nos conversations, nos cours, de l’écrire dans nos programmes et nos publications. Esclaves de l’ignorance, mettons les mots de La Boétie en pratique : « Soyez résolus à ne plus servir, et vous voilà libres. Je ne vous demande pas de le pousser, de l’ébranler, mais seulement de ne plus le soutenir, et vous le verrez, tel un grand colosse dont on a brisé la base, fondre sous son poids et se rompre. »