Plaisir, gloire et affaires
Le vendredi 11 mars, à l’Auditorium Maxwell-Cunnings (Musée des beaux-arts de Montréal), était projeté Jeff Koons : Diary of a Seducer. Un documentaire signé Jill Nichols qui nous présente cet artiste très controversé de la fin du 20e siècle, dans le cadre de la 34e édition du FIFA
Le film commence sur un extrait d’un épisode de Popeye, personnage iconique de la culture populaire américaine. Jeff Koons, artiste et homme d’affaires américain, a grandi plongé dans cette « pop culture » de l’après-guerre. La publicité, la télévision, la production de masse font partie intégrante de son environnement et vont grandement déterminer son style. Dans un ordre chronologique, on assiste alors à son enfance, puis ses différentes phases jusqu’à la plus importante : Celebrations (avec le très connu Balloon Dog). Plusieurs entrevues de l’artiste et d’intervenants – comme l’artiste anglais Damien Hirst – viennent ponctuer le film et une bande-son bien composée (Led Zeppelin, Patti Smith ou Lou Reed) permet également de mieux saisir et illustrer le caractère de Koons.
Entre « Readymade » et « Pop Art »
L’oeuvre de l’artiste est présentée comme un hybride entre le « Readymade » (objet préfabriqué) de l’artiste dada Marcel Duchamp et de la technique inspirée de la publicité d’Andy Warhol. Les images nous font traverser toutes les étapes de l’évolution de Koons. On remarque que ce qui persiste est la représentation, ou même utilisation, d’objet de tous les jours. Comme Fontaine de Duchamp (un simple urinoir disposé dans une galerie), Koons présente des aspirateurs, des jouets qu’il n’a pas fabriqués lui-même. Des artisans réalisent ses œuvres pour lui. L’artiste devient un patron et n’est plus un homme manuel. L’utilisation d’imagerie populaire (comme Michael Jackson, ou la Panthère Rose) rappelle Warhol et ses reproductions de célébrités.
Filmé lors de la rétrospective de Koons à New York, un visiteur déclare « je me sens vivant ». En effet, Koons joue sur l’aspect excitant et séduisant dans son esthétique. Grâce à des techniques de polissage élaborées et coûteuses, il arrive à un résultat très parfait et brillant. Le rendu est clinquant et réveille les sens du spectateur ébloui. L’artiste américain maintient également sa réputation de séducteur en réalisant sa série Made In Heaven. Il produit des photos qui le mettent en scène avec son épouse (une star pornographique italienne) dans des positions osées. De quoi nous faire réfléchir sur la limite entre l’art et la pornographie, et la question de l’humain comme objet.
Le titre du film annonce bien la couleur. En suivant son histoire et évolution au fur et à mesure de sa rétrospective, on découvre les différentes facettes de cet artiste séducteur, porté sur l’image, qui essaye de nous attirer par son style aguicheur. Son art a été tout d’abord dénigré par les critiques, puis acclamé par les foules. Jeff Koons : Diary of a Seducer nous permet vraiment de capter l’essence de l’artiste, et mieux comprendre le contexte de ses œuvres affriolantes.
Cet artiste et ce film soulèvent quelques questions : la limite entre la vie de tous les jours et l’art, de même que l’aspect commercial de l’art. Chez Koons, l’artiste devient un homme d’affaire. Les images et le montage dynamiques de Jill Nichols nous plongent réellement dans l’univers pétillant et socialement représentatif de Jeff Koons. Le FIFA est une opportunité à ne pas manquer si l’on veut se plonger en profondeur dans l’œuvre de multiples artistes. De plus, ce documentaire sur Koons est un bel hommage pour fêter le centenaire du dadaïsme, et montre son héritage à travers l’histoire de l’art. ‑Louise Kronenberger.
Le mythe Barthes
Roland Barthes : sa vie, son œuvre. Voilà le titre que le documentaire, projeté à la BanQ dans le cadre du FIFA, signé Chantal et Thierry Thomas, aurait pu porter. Les auteurs ont préféré emprunter à Barthes l’une de ses expressions, et le documentaire s’intitule donc « le théâtre du langage ». Une composition très simple, qui suit une chronologie très classique : la naissance du Roland Barthes que l’on connaît, ses premières œuvres, des anecdotes de vie, son succès, sa mort (spoiler, il meurt à la fin).
Très didactique, le documentaire, on le sent, fait tout pour mettre le spectateur en confiance : il s’agit d’apprendre à connaître Barthes et son importance.
On y apprend qu’il aimait le quartier Saint-Germain, qu’il fumait des cigares, qu’il était émotif, ironique, drôle. On ne peut enfin qu’aimer Barthes. Mais aime-t-on l’individu Barthes, comme l’aurait fait le critique Sainte-Beuve (critique littéraire du 19e siècle qui n’étudiait les œuvres littéraires que par le prisme de la vie des auteurs. Voir le Contre Sainte-Beuve de M.Proust, ndlr), ou le structuraliste ?
Le documentaire évite de se mesurer à Barthes et contribue quelque peu au mythe Barthes. Car rappelons-le : l’auteur est désormais sacré en littérature. Un article d’un blog du Monde intitulé… « Briller en société », lui est consacré, qui compile un top 10 des choses à savoir sur Barthes. Barthes aurait doucement ri.
L’auteur des Mythologies est lui-même devenu… un mythe. Et c’est sur ce point précis que le documentaire manque d’audace, certes pour des raisons d’accessibilité. Mais si l’on proclame la mort de l’auteur Barthes, que reste-t-il ? Qu’est-ce qu’un signe ? Un signifiant ? Un signifié ? Tout cela reste bien flou, et le mythe Barthes continue sans danger de se balader dans Saint-Germain.
Le documentaire, ironiquement, participe plus de la méthode de l’histoire littéraire que de « l’activité structurale » (Barthes), en se concentrant – malgré la place majeure accordée à ses propres paroles – sur sa personnalité, son « personnage », son « obsession du langage » plutôt que sur ses résultats de recherche. En témoignent les coupures des entrevues, qui laissent voir son humour et sa finesse (rendant le documentaire amusant), mais coupent les phrases qui touchaient droit au sujet de ses recherches. On apprend donc que l’on aime Barthes, mais on n’est pas sûr de savoir pourquoi. ‑Clayton Lapoire.
Fitzgerald et Hemingway, d’encre à encre
Vendredi 11 mars, dans le cadre de la 34e édition du FIFA, l’auditorium de la Grande Bibliothèque BanQ a accueilli la projection de Fitzgerald / Hemingway : Une question de taille. Un documentaire signé Claude Ventura sur les relations houleuses de F. Scott Fitzgerald et Ernest Hemingway. Les deux célèbres écrivains américains, peut-être les plus connus du 20e siècle, se sont tout d’abord rencontrés en France, où l’un et l’autre passèrent une large partie de leur existence. Hemingway fit ainsi la connaissance de Fitzgerald lors de vacances passées dans le sud du pays : alors que le premier peine encore à se faire publier et survit difficilement dans le Paris des années 1920, le second est déjà connu, déjà riche et couronne son succès avec la publication de Gatsby le Magnifique en 1925.
« D’une amitié sincère, les deux hommes passent à la détestation »
À travers une revue détaillée des nombreuses lettres échangées par les deux écrivains, le documentaire retrace l’évolution de leur relation. Alors que dans les premiers temps, Hemingway se fait corriger par Fitzgerald et demande son soutien pour se faire publier, le rapport s’inverse rapidement. De fait, alors que Fitzgerald tombe dans un alcoolisme profond, Hemingway connaît la célébrité avec ses romans, notamment L’adieu aux armes en 1929. D’une amitié sincère, les deux hommes passent à la détestation, d’abord seulement confiée à leur éditeur commun puis ouverte — surtout après les descriptions dédaigneuses de Fitzgerald par Hemingway dans certains de ses livres.
Le documentaire, très détaillé par les lettres et des images d’archives, aurait pu être intéressant et il le fut parfois. Malheureusement, il tombe vite dans la lecture plate des lettres, sans aucune critique, se contentant de commentaires banals dont certains frôlent l’hagiographie de l’écrivain inspiré par les muses. Retraçant chronologiquement, mais très partialement, le parcours des deux écrivains, il peut intéresser celui ou celle qui ne connaît rien aux deux auteurs et qui souhaite quelque chose de plus interactif qu’une simple page Wikipédia. Si vous cherchez une analyse de leur style, passez votre chemin, ce n’était visiblement pas le but du réalisateur Claude Ventura. ‑Antoine Duranton.
Fragrances d’amours et peintres mélomane
Fragonard, Les gammes de l’amour
Le réalisateur Jean-Paul Fargier a conçu un documentaire, avec le témoignage d’historiens de l’art, sur la variété des représentations de l’amour dans l’œuvre du grand artiste classique Jean-Honoré Fragonard. Malgré un succès remarquable auprès de l’académie en peintures historiques, le peintre français s’est aussi attaché à des thèmes plus frivoles dans des décors rococo. Ce sont ces scènes d’amour et de courtoisie qui font le succès de Fragonard auprès de la cour, pour le plaisir des yeux des plus nobles.
Jean-Paul Fargier dévoile donc le côté érotique et sensible de peintures qui représentent des adolescentes au regard joueur. Des spécialistes passionnés nous racontent, avec pudeur, des anecdotes sur la vie de cour. L’exploration de la notion de courtoisie mène à un style de peinture plus privé qui nous donne des sources historiques sur la pratique de l’amour au 18e siècle. On s’amuse avec des scènes animées dans les dortoirs où Fragonard représente avec génie de jeunes adolescentes dénudées qui s’excitent devant des incidents impromptus. Certaines femmes du public rient de nervosité devant des scènes suggestives et des symboliques toujours explicites.
On retiendra de ce documentaire une morale atypique. C’est dans un esprit de légèreté que l’on comprend que l’art humoristique, moins sérieux, n’est pas une forme basse d’art. Il nous semble presque que le documentaire dévoile un Fragonard qui élève les dessins humoristiques au niveau de la peinture historique et légitime aux yeux de l’Académie française. Le documentaire nous fait réfléchir sur des notions toujours valables concernant le jugement de l’art noble. Derrière des scènes d’amour se cache une technique artistique remarquable.
Par une liste précise des amours représentés, Fragonard, Les gammes de l’amour parvient avec succès à expliquer le génie de l’artiste, un libertin rebelle qui jouait avec les limites du contrôle sexuel. En filmant un rétrospective formelle, Jean-Paul Fargier retrace une période de révolution mue par les pouvoirs de l’amour. Plutôt divertissant.
Chagall, peintre de la musique
Le documentaire de Mathilde Deschamps-Lotthé retrace le succès d’un peintre moderne franco-russe mordu de musique. Nous sont montrés, entre autres, l’effet de la musique sur Marc Chagall tout autant que l’influence de ce dernier sur les musiciens. Sa création est une création de sens. On entend la musique dans ses peintures, une peinture aux compositions dissonantes.
C’est avec succès que les cinquante-trois minutes d’images nous montrent le travail spectaculaire de Chagall. Quand on regarde ses muraux dans les opéras, il ne manque plus que les danseurs pour remplir l’espace et la musique pour donner du mouvement. Dans des formats extraordinaires, il donne des ambiances mystérieuses aux peintures et au spectacle. Chagall donne vie au ballet et le ballet donne vie aux peintures.
« Sa création est une création de sens »
La simplicité de ses peintures aux compositions fluides nous donne l’impression de plonger dans un rêve. On retient particulièrement le mélange de mélancolie et de gaieté que Chagall transmet. C’est une fusion des sens qui pourrait représenter la sensation d’une personne touchée par la synesthésie, où les couleurs sont associées aux sons et lettres. L’artiste russe raconte : « Je veux que la couleur joue et parle seule. » Son œuvre de contraste émotif est sa signature la plus connue. Mathilde Deschamps-Lotthé montre à merveille comment les toiles sont efficaces et explique avec attachement le génie du peintre.
On regrette cependant le manque de détails plus historiques et de remarques plus académiques sur un artiste qui fut si reconnu durant sa carrière et qui eut tant de succès. En effet, le documentaire balaye des périodes historiques qui furent sans aucun doute des éléments charnières à sa création. On peut tout de même dire que malgré cela, on adore les témoignages, presque innocents, de ses petites filles maintenant grandes, qui se rappellent du processus de production de ces majestueuses œuvres d’art.