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Croissance, mort ou durabilité

La minute écolo

Luce Engérant
Vittorio Pessin

Au vu de tous les avertissements des experts et climatologues, le fin mot de l’histoire est que nous devrons adapter nos modes de vie, nos comportements, nos choix idéologiques et politiques à la nouvelle réalité. Celle des pluies acides, de la sécheresse, des inondations, des maladies, de l’extinction progressive de membres de la chaîne alimentaire… On en passe et des meilleurs. Lorsque la communauté internationale parle d’adaptation, de résilience ou de transition, c’est dans l’optique modérée d’intégrer ce défi à la machine. Comme une plante verte au coin d’un bureau. 

Peut-on conjuguer capitalisme et durabilité ?

Favorite parmi les thématiques qui poussent comme des mauvaises herbes au pied de nos dirigeants, est la question de la viabilité du capitalisme dans ce nouveau modèle. Entendons par là : si l’on compte réellement opérer un changement et léguer aux générations futures ne serait-ce qu’un peu d’air frais. Pied de nez au réalisme désabusé, le raisonnement a un intérêt purement philosophique, et pas qu’un peu jouissif. Nombre de théoriciens se sont déjà penchés sur la question. En 2009, David Schweickart, de l’Université Loyola de Chicago, s’interroge sur le postulat du système capitaliste : la croissance ou la mort. « Une économie capitaliste » écrit-il, « doit croître pour rester en santé parce que le capitalisme repose sur les investisseurs privés.» Si les profits stagnent, ou pire, diminuent, les capitaux se désintéressent, et « leur pessimisme devient une prophétie auto-réalisatrice » : chômage, baisse de la consommation, baisse de la demande globale. Dans la suite logique, les gouvernements ont moins de revenus et sont donc incapables d’assurer les services sociaux.

Évidemment, en période de récession, les émissions de gaz à effet de serre chutent. Inversement, dans l’équation économique, plus de CO2 dans l’atmosphère, c’est aussi un PIB en croissance. La création d’emploi nécessaire au nettoyage suite à une marée noire comptera positivement dans le produit intérieur brut. 

C’est la loi du marché qu’on a pu observer jusqu’ici dans le comportement des entreprises face aux régulations environnementales imposées par les gouvernements. Sous sa forme actuelle, l’économie est imperméable aux nouvelles formes d’énergie et de consommation, parce qu’elles sont plus chères et donc moins rentables.

Démocratiser l’économie

Schweickart poursuit en se posant la question suivante : « pouvons-nous concevoir une alternative économique au capitalisme qui soit a) économiquement viable, b) indépendante de la croissance pour rester stable, mais c) qui conduise à l’innovation entrepreneuriale dont nous aurons besoin pour surpasser la crise actuelle ?» Il conçoit dans sa recherche le projet d’un nouveau modèle économique qu’il qualifie de « démocratique ». Celui-ci est basé sur une direction élue par les travailleurs, et le remplacement des salaires par des parts de profits, afin que chacun ait un intérêt direct à participer activement au succès de l’entreprise. L’investissement aussi serait repensé. Substitué par la taxation des capitaux, chacun paierait alors pour ce qu’il consomme en production. Schweickart dessine par la suite une méthode proportionnelle de redistribution des revenus publics, donc « le fonds d’investissement est généré par les taxes ». Ces fonds publics restent locaux, et peuvent être réinvestis dans des initiatives et innovations plus vertes. En bref, le modèle démocratique cherche à soutirer le futur de l’environnement au courtier en bourse, et le replacer entre les mains de l’individu. Il ne rejette pas le capitalisme puisqu’en soi, plus de profits serait synonyme de plus de taxes, donc plus de revenus, et plus de potentiel d’investissement.

Conclusion

Le modèle décrit ci-dessus est une incitation à la réflexion. Il découle de mes lectures de vacances plus que de mes convictions personnelles. Mais il est intéressant parce qu’il soulève les questions qui font partie du chemin de pensée nécessaire, en fin de compte (et de chronique, à un progrès) dans notre mentalité. Devons-nous nous arrêter aux règles économiques que l’on nous a léguées ? Le client est-il véritablement roi, ou consomme-t-il pour répondre à la loi de l’excès, du profit ? Pouvons-nous, et voudrons-nous repenser le monde dans lequel nous allons travailler, dépenser, vieillir et procréer ? Il reste vital de remettre en cause ce que nous savons déjà, et de mettre en valeur ce que nous apprenons. 


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