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Donner des nuits pour les sans-abris

L’équipe de « 5 jours pour l’itinérance » mène une campagne réussie à McGill.

Vittorio Pessin

« On a eu plusieurs nuits sous la pluie, mais malgré les difficultés on garde le sourire ! Après tout, ça fait partie de l’expérience » s’exclame Thomas, un des participants de « 5 jours pour l’itinérance ». L’événement, qui a eu lieu du dimanche 13 au vendredi 18 mars, a réuni plusieurs étudiants de McGill qui ont dormi à la belle étoile en face de la bibliothèque McLennan. Leur but : sensibiliser les étudiants aux problèmes des sans-abris et collecter des fonds pour deux organisations locales : Chez Doris et Dans la Rue. 

L’histoire d’une campagne

La branche de McGill de « 5 Jours pour l’ Itinérance », (5 Days for the Homeless, ndlr), fait partie d’une plus large campagne, présente dans diverses écoles de commerce à travers le Canada. En effet, l’organisation non-gouvernementale (ONG) a été fondée par des étudiants de commerce de l’université d’Alberta, qui avaient identifié l’itinérance comme un problème social important et qui voulaient redonner à leur communauté. Depuis sa création en 2005, l’ONG a récolté plus de 1 600 000 dollars canadiens pour la cause.

La singularité de la campagne ? Au lieu d’être affiliée à une seule ONG, chaque école choisit de donner à des organisations locales qui travaillent sur l’itinérance. À Montréal, McGill et l’école de commerce John Molson de Concordia ont uni leurs forces pour donner les fonds récoltés à Dans la Rue et Chez Doris, qui viennent en aide aux femmes et jeunes en situation de précarité. 

Nous amenons les étudiants à se questionner

Résultats des dons ?

C’est un pari réussi pour 2016. Meghan Bottomley — étudiante en troisième année en science politique et études canadiennes — co-organisatrice de la campagne, nous explique : « Notre but était de gagner 15 000 dollars canadiens et nous en avons récolté plus de 16 000 ! ». Cette année, la plupart des dons ont été effectués en ligne — une différence par rapport à l’année dernière, que Meghan explique par le nombre réduit des bénévoles. « Nous étions à peu près moitié moins cette année, donc moins pour le canvassing (récolte de dons au sceau auprès des passants, ndlr)».

Une campagne controversée

Mais alors qu’on pourrait fêter les résultats de la campagne orange-tonique, un nuage surgit à l’horizon. Cette année encore, la campagne n’a pas été libre de toute critique. Certains s’offensent de ce qu’ils considèrent comme un « jeu de mauvais goût », où les étudiants privilégiés jouent à être des sans abris. L’année dernière, une professeure de l’université de UBC (Université de la Colombie Britannique) Litsa Chatzivasileiou avait écrit un article cinglant, « Homelessness is not a choice » (« L’itinérance n’est pas un choix », ndlr), qui a refait surface cette année. Elle dénonce en particulier une campagne « pseudo-altruiste », qui aide les entreprises à nettoyer leur nom de marque en l’associant à une ONG. Une campagne qui perpétue aussi le projet colonial, car elle manque de reconnaître que l’itinérance affecte disproportionnellement les autochtones et que la campagne a lieu sur des terres appropriées. Enfin, l’auteur critique l’appropriation du problème par les étudiants, qui, dès lors, taisent la voie des premiers affectés : les sans-abris.

C’est un pari réussi pour 2016

Les organisateurs sont au courant de ces critiques et d’après Meghan ce sont des arguments « valables et importants à discuter pour la campagne ». La co-organisatrice dénonce par contre quelques accusations mal-fondées. Cette année par exemple, « 5 Jours McGill » n’a reçu aucune donation d’entreprise : « nous ne sommes donc pas une avenue par laquelle les commerces peuvent faire leur autopromotion ». Elle explique aussi que  le but essentiel de la campagne est de faire une collecte de fonds pour ces organisations qui font un travail exceptionnel : Chez Doris et Dans la Rue. Cent pour cent des donations leur sont reversées. En plus, « cette année nous avons fait un effort pour travailler plus proches d’elles et faire plus de volontariat en plus de la levée de fonds ».

Qu’en est-il des commentaires qui reprochent  aux étudiants de « jouer la comédie » ? Thomas, un participant, se défend : « Nous sommes conscients que pour nous, après une semaine, nous retournons à la maison et ne faisons pas face aux réalités constantes que représente la vie dans la rue : la solitude, les troubles mentaux et la marginalisation extrême. Là n’est pas notre but. Nous amenons les étudiants à se questionner ». Il explique aussi que « notre mouvement est rempli d’empathie » : d’une part par l’expérience, qui donne un aperçu de la difficulté physique de vivre par manque de sommeil, mais aussi par les rencontres faites au cours de la semaine. 

Vittorio Pessin

Rencontrer et apprendre 

En effet, au cours de la semaine, les étudiants n’ont pas seulement dormi à la belle étoile, mais ont aussi rencontré plusieurs acteurs principaux. Mercredi, les participants on reçu la visite de Dans la Rue et leur service de première ligne : La Camionnette (The Van). Elle parcours la ville cinq fois par semaine et distribue des chien-chauds aux jeunes en situation de précarité. Les volontaires qui ont rencontré l’équipe de McGill expliquent que c’est ici que beaucoup de jeunes itinérants entendent parler de Dans la Rue pour la première fois, et des services qui pourraient les aider.

Le jeudi soir, les participants de McGill et de Concordia sont aussi allés partager leur nourriture avec les sans-abris dans la ville. Un moment de rencontres émouvantes d’après une participante qui raconte avoir été touchée par sa rencontre avec Terry, qui est Objiwé, de Barrie, Ontario : « Il nous a parlé du Mouvement Occupy Winnipeg auquel il a participé ».

La semaine terminée, malgré le froid, les participants en garderont un souvenir positif. Thomas explique : « Le plaisir est contagieux et comme chaque année, c’était le meilleur moment du semestre : nouveau amis, nouvelles expériences, nouveaux échanges ». Mais le problème de l’itinérance à Montréal continue et demandera de nouveaux efforts. On espère que les critiques de cette année susciteront des conversations constructives pour l’amélioration continue de la campagne pour l’année prochaine. 


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