Quand on évoque le jazz, on pense évidemment à Miles Davis, Duke Ellington, ou John Coltrane. On aurait tort, il semblerait, d’y omettre Chet Baker. Trompettiste, bugliste, et chanteur sans précédent, il fut un musicien hors-norme, au profil plus qu’atypique. Quoi de mieux, donc, que de se rendre au Cinéma du Parc de Montréal un jeudi après-midi pluvieux et morne, pour y voir Born To Be Blue, long-métrage consacré à l’artiste ?
Trompettes et prisons
Birdland Club, New York, 1954. Chet Baker et sa trompette bavardent avec l’atmosphère. Dans la fumée de cigarette et l’obscurité, on écoute, on contemple. On ressent la peine, puis la mélancolie, enfin l’amour : les passions s’entrechoquent. Il fait gris ce soir, à New York.
Accro à l’héroïne durant presque toute sa carrière, il fut arrêté plusieurs fois en possession de drogue, et c’est d’ailleurs dans la prison de Lucques, en Italie, que débute le film. Baker y est merveilleusement interprété par l’acteur américain Ethan Hawke : précis et authentique, il a lui même repris plusieurs refrains du chanteur, et le moins que l’on puisse dire, c’est que le résultat est admirable.
Après plusieurs années passées en Europe, dont deux en détention, Chet revient aux États-Unis. Bien que sa notoriété ne soit plus la même que lors de son apogée dans les années 1950, il est décidé à reprendre le travail. Seulement, un événement va bouleverser son existence : en 1966, à San Francisco, il est lâchement agressé par un groupe de dealers qui lui fracassent la mâchoire. Celle-ci constitue le socle de son art, d’abord parce qu’elle lui permet de chanter, mais aussi car il l’utilise pour jouer de son instrument. Méprisé par son père, délaissé par les maisons de disque, Baker va consacrer de longs mois de sa vie à se rétablir et tenter de retrouver son niveau initial. Pour cela, son addiction à l’héroïne doit cesser, et c’est grâce à la rencontre d’une nouvelle femme, d’un nouvel amour, Jane, subtilement interprétée par l’actrice Carmen Ejogo, que Baker va préparer son grand retour.
Inévitable rechute
Semaine après semaine, Chet va regagner confiance – mais l’avait-t-il vraiment perdue ? Même lorsque Miles Davis, pleinement incarné par Kedar Brown, l’observe d’un œil menaçant au Birdland en 1954, il reste imperturbable et réalise une prestation stupéfiante. Dans le début des années 1970, il est de nouveau prêt à monter sur scène ; mais les vieilles habitudes perdurent. De retour à New York pour un nouveau concert, Chet va retomber dans ses travers liés à l’héroïne. Il perd donc Jane, pourtant enceinte, mais enchaîne les performances et retrouve l’Europe pour une nouvelle tournée.
Selon le Guardian, « Born To Be Blue est un curieux mélange de réalité et de fiction, de cliché et d’originalité, de style et d’émotion.» À l’heure où la parole est à Leonardo Dicaprio et Les Revenants, il est un film à ne pas manquer, certainement – à bon entendeur, salut.