Avec leur nouvelle production, Tango : la passion d’une vie, le but avoué du maestro Larrea — qui n’a pas hésité à abandonner son bandonéon pour se prononcer — est de continuer à faire connaître à travers le monde cette part incontournable de l’héritage artistique argentin, qui est tout à la fois une musique, une danse, une poésie et une manière de vivre. Sa répartition tripartite entre les arrangements pour orchestre, les pièces chantées et les numéros de danse, témoigne de la volonté de mettre à profit la beauté de chacune de ces disciplines. Quelques-unes (on pense ici à la musique plus particulièrement) tendent pourtant à passer en arrière-plan lorsque l’on offre aux spectateurs la possibilité de voir regroupés sur scène des danseurs, des musiciens, ainsi qu’une chanteuse de talent.
Mais ici, qu’on se le tienne pour dit : aucun risque d’oublier l’orchestre, dont la taille et la répartition sont telles que les musiciens occupent pratiquement toute la scène. Ce choix marque une différence importante entre ce nouveau spectacle et Un siècle de tango qui leur a valu de jouer plusieurs soirs à guichets fermés à Broadway et dont la tournée dura trois ans. Comme l’indiquait son titre, ce spectacle avait été conçu dans une perspective historique, qui permettait de comprendre l’évolution du tango par le biais du répertoire musical bien sûr, mais aussi du décor, des costumes, voire même de l’attitude des danseurs, dont le comportement demeure aujourd’hui encore soumis à des codes très précis dans le cadre des soirées appelées milonga.
Écho instructif
Une telle approche leur avait permis de faire comprendre à quel point l’histoire du tango était, bien entendu, imbriquée dans celle du 20e siècle, en particulier en ce qui concerne la libéralisation des mœurs. Il était amusant de constater, à cet égard, que les hommes débutants du début du siècle devaient pratiquer avec des balais, faute de pouvoir trouver une partenaire désirant apprendre une danse indécente (à ses débuts confinée aux quartiers les plus mal famés de Buenos Aires). L’évolution du tango parut aller de pair avec un certain embourgeoisement de la discipline, dont la traditionnelle rose entre les lèvres dominait déjà les salles de bal des soirées chic dans les années 1980.
Il semblerait que cette absence de mise en récit se fasse durement ressentir dans La passion d’une vie. Il y avait certes des éléments qu’un public non-averti était susceptible d’apprécier au même titre que des mordus du tango. Comme c’était le cas de manière générale pour la voix mémorable de Verónica Larc, dont l’interprétation du Soledad de Gardel et de Viejo Tortoni de Blázquez étaient réellement remarquables, ou encore pour quelques chorégraphies particulièrement réussies d’Ana Padrón et de Carlos Cañedo. On peut toutefois se demander jusqu’à quel point un regroupement thématique des best of du tango est susceptible de familiariser le grand public avec la culture argentine, voire de lui transmettre la « passion » du tango. Le choix de juxtaposer les pièces d’une telle manière (orchestre/chant/danse) créé certes de la variété mais génère un « effet catalogue » qui présente l’inconvénient de ne faire ressortir du tango, en fin de compte, que les éléments les plus stéréotypés. Cela demeure toutefois un spectacle agréable, à découvrir pour les curieux, mais encore plus si l’on est déjà amateur.