C’est avec stupeur que j’ai appris, dans les derniers jours, que l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest était invité à l’Université McGill afin de participer à une table ronde. L’objectif étant de discuter des moyens à employer pour rebâtir la confiance des citoyens envers leurs institutions politiques, nous croyons presque à une mauvaise blague tant l’ironie de la nouvelle est grande. Par quelle contorsion mentale ahurissante les gens s’intéressant sérieusement à l’univers politique québécois ont-ils cru pertinent d’inviter cet ancien premier ministre pour prendre part à une réflexion sur le lien de confiance entre les citoyens et le monde politique ? Faut-il rappeler que le règne libéral a engendré d’importants soupçons de corruption ainsi que du trafic d’influence et de complot dans les cinquante dernières années ?
Le PLQ fait de la résistance
Loin de n’être qu’un accident anecdotique, cette absurdité a le mérite de soulever une réflexion plus profonde sur le gargantuesque clivage politique des diverses communautés habitant le Québec. J’aimerais donc, pour ma dernière chronique, vous laisser sur une réflexion quant à l’état de déréliction (sentiment d’abondon, ndlr) dans lequel se trouve la scène politique québécoise. D’abord, en quoi cette scène est-elle si pitoyable, me demanderez-vous ? Très simplement : dans quel genre de démocratie un parti politique ayant régné plus de douze ans presque sans interruption, et dont les hautes instances se font arrêter par une unité policière anti-corruption peut-il rebâtir la confiance ? Quel genre de parti politique, dont le président du Conseil du Trésor est vu fuyant vers le sud à bord d’un vol de nuit après qu’une émission d’affaires publiques eut révélé une série de courriels incriminants, le tout l’impliquant dans du trafic d’influence auprès d’un individu précédemment arrêté par la police, se voit-il toujours en position pour prendre majoritairement le pouvoir si une élection générale était déclenchée ?
La question se pose sérieusement considérant l’abondance des alternatives. Le Québec est-il à ce point attaché au Parti Libéral du Québec ? L’observation de données colligées récemment par la maison de sondages Léger Marketing montre un troublant clivage politique à l’origine de l’inexplicable solidité de la popularité de ce parti sans projet, sans direction, réagissant aux scandales à la manière d’une méduse morte dérivant sur les flots. En effet, les chiffres illustrent que le PLQ bénéficie d’un appui quasi soviétique des communautés anglophones et allophones du Québec, et ne s’attire la sympathie que d’environ un québécois francophone sur cinq, les quatre autres se fractionnant entre les trois autres joueurs, soient le Parti Québécois, Québec Solidaire et la Coalition Avenir Québec.
Le communautarisme en question
En se mobilisant en bloc derrière le PLQ, par crainte d’une renaissance de la diabolique question nationale, ces communautés, aidées d’un québécois francophone sur cinq, assurent au parti un laissez-passer vers le pouvoir politique de la province, laissant le reste du Québec se fragmenter sur d’autres questions. Ce délicat et inconfortable constat, concernant la déconnection terrifiante entre la majorité des québécois et les communautés minoritaires avec qui ils partagent leur territoire, met le doigt sur une des raisons à la source du sentiment d’impuissance politique et de désengagement grandissant qui les afflige.
L’invitation de Jean Charest comme orateur pour discuter du lien de confiance entre les citoyens et le monde politique met en lumière ce clivage, mais cette fois à l’échelle institutionnelle. L’Université McGill vit-elle dans un monde parallèle à celui de la société québécoise ? On pourrait sans peine le croire tant l’ironie saute aux yeux de la presse francophone et ne soulève aucun commentaire ni remise en question sur le campus ou dans la presse anglophone. Certains sont tentés de conclure que cette schizophrénie politique québécoise s’explique par un effet pervers du fait d’entretenir une polarisation politique quant au projet souverainiste québécois depuis 40 ans. J’invite à une autre lecture de la situation. Il s’agit, à mon sens, d’une illustration de l’échec retentissant du régime multiculturel canadien à favoriser l’intégration des communautés à leur société d’accueil. Cela n’engendre pas seulement un sentiment de dépossession culturelle des sociétés d’accueil, mais favorise aussi une isolation sociale et politique des communautés minoritaires. En refusant de s’investir de façon constructive dans la vie des idées du groupe auquel ils se greffent, ils risquent de favoriser une montée dramatique de l’intolérance des « purs laine » à leur égard. Cela n’a rien de rassurant et laisse présager nombre de moments troubles dont je n’aurais aucune envie de faire la chronique. Jouer à l’autruche au nom de la rectitude politique n’est plus une option.