Le Royaume-Uni hors de l’Union Européenne (UE) a longtemps été une hypothèse que tout observateur avisé considérait comme fort improbable. Toutefois, une forte montée du camp Brexit, en faveur d’une sortie de l’UE, dans les intentions de votes a rendu réelle la perspective d’une union se réveillant amputée d’un état-membre ce vendredi 24 juin. L’impensable devenu crédible : le référendum britannique sur l’adhésion à l’UE monopolise depuis l’attention des médias continentaux car c’est l’avenir de l’intégration européenne qui semble aussi en jeu dans ce scrutin. Brexit, expression qui en est venue à englober la campagne, le vote et ses conséquences. Ce dernier s’oppose au terme Bremain, qui se fait plus rare dans les médias. Loin des débats sur la question européenne qui aujourd’hui resurgissent, ce référendum aux origines politicardes, se caractérise par une campagne politique qui ne s’est distinguée que par ses bassesses.
Disputes politiciennes et calculs électoraux
Le Brexit, c’est le résultat d’un double calcul de David Cameron, Premier ministre conservateur du Royaume-Uni. Le 23 janvier 2013, ce dernier promettait d’organiser un référendum sur l’adhésion à l’UE s’il était réélu lors des élections prochaines de 2015. Ainsi, Cameron comptait enfin fédérer son parti, historiquement divisé par la question de l’UE, tout en siphonnant la base électorale du parti droitiste et anti-européen UKIP, un parti à la popularité grandissante et qui a remporté ensuite le plus de votes lors des élections européennes de 2014.
Suite à la victoire inattendue des Tories (surnom du Parti conservateur, ndlr) aux élections générales de 2015, Cameron, entamant son deuxième mandat, se voit obligé d’honorer sa promesse, et surprend son monde en annonçant la tenue du référendum dès la mi-2016. De nombreux observateurs politiques lui avaient reproché de jouer avec le feu en faisant une telle promesse, David Cameron joue désormais sa survie politique. En utilisant la perspective d’un Brexit comme instrument de pression, il obtient un accord unanime du Conseil européen en février dernier, statuant que le Royaume-Uni n’est plus tenu par l’engagement d’une « union sans cesse plus étroite ». De plus, ses conditions d’appartenance à l’UE se voient agrémentées d’arrangements avantageux supplémentaires.
Dès alors, Cameron, qui n’a jamais été un ardent partisan de l’UE, se prononce en faveur d’un Bremain. S’oppose à lui l’ambitieux conservateur Boris Johnson, n’ayant jamais été connu comme un fervent eurosceptique, qui après avoir été maire de Londres se verrait bien loger au 10, Downing Street (siège du gouvernement du Royaume-Uni, ndlr).
Une campagne traînée dans la boue
Boris Johnson et son compère conservateur Michael Gove, Lord Chancelier et Secrétaire d’État à la Justice, ont d’abord refusé d’emprunter l’approche « anti-immigrant » préconisée par Nigel Farage, président du parti UKIP. Toutefois, suite à l’échec dans les sondages d’un argumentaire libéral, ils ont optèrent pour un discours identitaire et nationaliste Ainsi, on a pu voir dans les rues de la perfide Albion des affiches annonçant l’arrivée de millions d’immigrants turcs lors de l’entrée de la Turquie dans l’UE — une entrée qui n’est plus d’actualité —, qui mettraient en danger la sécurité nationale selon la campagne du Brexit.
Cette stratégie de la peur, attisée par des propos xénophobes et démagogues d’ordinaire propre à l’extrême droite, a joué en faveur du camp Brexit, certaines déclarations polémiques n’enrayant pas cette dynamique, à défaut d’aliéner de nombreux supporters plus modérés du mouvement. Ainsi, Nigel Farage a récemment mis en garde ses concitoyens contre un risque d’«attaques sexuelles en masses » si le Royaume-Uni laissait ses portes ouvertes aux migrants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, en référence aux violences de Cologne lors la Saint-Sylvestre dernière. Boris Johnson, lui, n’a pas hésité à comparer l’aspiration fédéraliste de l’UE, celle d’un super-état Européen, aux ambitions qu’eurent naguère Napoléon et Hitler, ou à expliquer le parti pris pro-Bremain de Barack Obama par ses origines en « partie Kényanes », qui nourriraient en lui une haine post-coloniale de la Grande-Bretagne.
Face à cette radicalisation des discours, les arguments économiques de la campagne Bremain, avancés de manière maladroites selon la presse britannique, n’ont pas porté fruit. Et ce, malgré les avertissements d’un Royaume-Uni affaibli hors de l’UE par la Trésor britannique, le FMI, la Banque Mondiale ou la Banque Centrale Européenne. Un George Osborne alarmiste a annoncé prévoir un manque à gagner de six points de croissance pour le produit intérieur brut britannique, sur quinze ans. Cependant, les inquiétudes du Chancelier de l’Échiquier, Ministre des Finances et du Trésor, ne semblent pas être partagées par la majorité de ses concitoyens.
Guerre des chiffres
Il faut pour cela mettre en cause la guerre des chiffres que se livrent les deux camps à coup de statistiques économiques contradictoires, à propos du coût réel de l’adhésion à l’UE pour le Royaume-Uni, et qui prête à confusion. Au cœur des débats, une affirmation du camp Brexit : l’UE coûte £350m par semaine au Royaume-Uni. Cet argent pourrait renflouer le NHS (National Health Service, sécurité sociale, ndlr) déficitaire. Cette affirmation est manifestement fausse. Chaque semaine, ce sont £250m que paie le Royaume-Uni à l’UE, grâce au rabais négocié par Margaret Thatcher en 1985, qui exempt le Royaume-Uni de payer un tiers de sa facture. Dans l’autre sens, l’UE distribue chaque semaine (en moyenne) £90m aux régions les plus appauvries et fermiers britanniques, ainsi que £50m aux entreprises britanniques, pour un total de £140m. De telles dépenses devraient être prises en charge par le gouvernement, à moins qu’elles soient jugées superflues. Finalement, si la Grande-Bretagne désirait rester dans le marché unique européen, elle devrait s’acquitter d’une importante contribution, comme la Suisse ou la Norvège actuellement, et se retrouverait à payer l’UE tout en n’y étant plus représentée.
De similaires désaccords persistent quant aux conséquences d’un Brexit sur l’immigration ou la balance commerciale britannique. Ces désaccords ne résultent pas seulement d’imprécisions politiques mais aussi de disputes académiques, différents modèles économiques laissant envisager une Grande-Bretagne sortant largement gagnante, ou perdante, de l’UE. La capacité du Royaume-Uni à négocier des accords de libre-échange en étant hors de l’UE est aussi sujette à débats, tout comme le comportement du cours de la livre sterling post-Brexit. Cette incertitude générale génère une fébrilité certaine au sein des marchés financiers, qui de Washington à Tokyo, se préparent à l’hypothèse Brexit, le rôle du Royaume-Uni dans les flux financiers globaux étant trop important pour ne pas anticiper toute possibilité.
Questionnement existentiel
Au-delà des chiffres, et contrastant avec certaines tendances démagogiques, le débat sur l’adhésion à l’UE aura mis à nu les tiraillements intérieurs d’une nation incertaine de sa place dans le monde. Son passé cahoteux au sein de l’UE en atteste, le Royaume-Uni éprouve encore et toujours du mal à se sentir européen. Son gouvernement ne croît pas à l’idéal européen, ni à ses valeurs, ayant échoué à obtenir le droit de fermer ses frontières à tout immigrant provenant d’un nouvel entrant dans l’UE. Le Royaume-Uni ne reste aujourd’hui dans l’UE que par commodité, il la critique sans chercher à la réformer et l’affaiblit de l’intérieur : en ayant démontré que les traités fondateurs étaient négociables, qu’une « Europe à la carte » est possible, et en inspirant peut-être d’autres état-membres à organiser de pareils référendums de sortie.
Mais la désintégration de l’Europe n’est pas la seule menace, le démantèlement du Royaume-Uni est désormais une possibilité crédible. Il est quasi-certain que l’Irlande et l’Écosse voteront pour un maintien dans l’UE — les subventions européennes agriculturales étant trop importantes pour l’économie locale pour qu’elles y renoncent. Si ce vote se retrouvait contraire à celui de l’Angleterre, les velléités indépendantistes de ces deux nations pourraient renaître. Et il n’est pas à exclure, en cas de sécession de l’Écosse ou de l’Irlande — quoique moins probable —, que le Pays de Galle ne soit pas tenté de suivre le pas. Le Brexit, porté par un discours nationaliste, mettrait ironiquement l’unité du Royaume-Uni en péril.
Et le Canada, dans tout ça ?
Le Canada devra lui aussi démêler son lot d’interrogations en cas de victoire du vote Leave. En tant que membre du Commonwealth, il est naturel que la Grande-Bretagne se tourne vers le Canada pour compenser une baisse d’échanges commerciaux avec l’UE. Le Canada, qui a conclu en 2014 les négociations avec l’UE d’un accord compréhensif de libre-échange, pas encore ratifié, pourrait se retrouver divisé entre l’ancien pouvoir impérial britannique et son nouvel allié européen. Comme pour l’ensemble des conséquences internationales d’un Brexit, l’incertitude règne.
L’UE n’en sortira pas indemne
Finalement, l’issue d’un maintien du Royaume-Uni dans l’UE reste plus probable, grâce à quelques dynamiques électorales : le vote d’une partie des résidents britanniques à l’étranger, fortement en faveur du Bremain, une participation peut être sous-estimée due à une proportion importante de votants indécis susceptibles de se mobiliser dans l’urgence, et un possible revirement envers l’option la plus sûre — le maintien — qui avait déjà été à l’œuvre lors du référendum écossais de 2014.
Quel que soit le verdict des scrutins, ce référendum du Brexit aura exacerbé de nombreuses tendances eurosceptiques outre-manche, ainsi qu’une certaine aversion continentale envers le Royaume-Uni. L’UE en verra le cours de son histoire altéré.