On dit de plus en plus souvent que la nation est une idée dépassée et que l’heure est au village global. Que ce village serait une célébration de toutes les cultures et qu’il était un antidote à l’enfermement des peuples et au repli identitaire. On consent, tous partis confondus, à la dénationalisation des états et à la déprimante uniformisation des cultures qui s’en suit au nom de rutilants idéaux de paix et d’amour. Aujourd’hui et demain, pourtant, partout au Québec, nous célébrerons volontiers la Fête Nationale des Québécois. Les villes et les villages ont tous organisé une fête sur leur plus belle place publique en l’honneur du Québec.
On a longtemps reproché aux souverainistes de s’être appropriés le drapeau du Québec et la Fête Nationale, d’en avoir fait des symboles politiquement connotés qui exacerbaient les tensions politiques au lieu de faire place à une célébration comme une autre. On se demande bien toutefois par quel miracle la fête d’une nation dont le noyau culturel dur, francophone, a longtemps voulu prendre en main sa destinée politique en accédant à l’indépendance et se l’est vue refusée par la quasi-totalité des autres citoyens, anglophones et allophones[1], pourrait être dénuée de tout sens politique. Il convient de remarquer, à cet égard, comment s’exprime ce Québec qu’on accuse aujourd’hui de vouloir se replier sur lui-même lorsqu’il ose encore parler de son indépendance politique
La Fête Nationale n’est pas la fête de l’exclusion et de l’amertume. J’invite d’ailleurs chaudement tous ceux qui se méfient du Québec en tant que nation à assister aux célébrations de notre fête nationale, et si possible de le faire hors des grands événements de Québec et de Montréal. La vraie Saint-Jean-Baptiste, vous la trouverez en région, dans nos villes et villages. Vous n’y entendrez pas nécessairement les vedettes mondialisées et commercialement approuvées, mais vous allez voir ce qu’est le Québec. Vous n’y verrez pas de feux d’artifices à gros budget. Avec un peu de chance, toutefois, vous passerez une soirée inoubliable. Vous serez assis dans l’herbe, loin de la ville. L’air frais arrivera plus tôt, avec le coucher du soleil. Il y aura des artistes locaux qui viendront sur scène, sans doute. Vous entendrez ce que le Québec a fait de mieux comme musique, vous sentirez dans chaque couplet cet enthousiasme simple et émouvant qui nous habitait en tant que peuple dans les années 1970, avant que deux fois nos espoirs ne soient cassés, avant que le cynisme et la résignation ne s’empare de nous. Vous n’y verrez pas de tension. Vous y verrez des centaines de « gens du pays » chanter du Robert Charlebois, du Beau Dommage, du Harmonium et si vous êtes chanceux, quelqu’un chantera une de nos plus belles chansons, « Le plus beau voyage » de Claude Gauthier, un grand parolier d’ici qui portait son pays au plus profond de son cœur.
J’ai refait le plus beau voyage
De mon enfance à aujourd’hui
Sans un adieu, sans un bagage,
Sans un regret ou nostalgie
J’ai revu mes appartenances,
Mes trente-trois ans et la vie
Et c’est de toutes mes partances
Le plus heureux flash de ma vie !
Je suis de lacs et de rivières
Je suis de gibier, de poissons
Je suis de roches et de poussières
Je ne suis pas des grandes moissons
Je suis de sucre et d’eau d’érable
De Pater Noster, de Credo
Je suis de dix enfants à table
Je suis de janvier sous zéro
Je suis d’Amérique et de France
Je suis de chômage et d’exil
Je suis d’octobre et d’espérance
Je suis une race en péril
Je suis prévu pour l’an deux mille
Je suis notre libération
Comme des millions de gens fragiles
À des promesses d’élection
Je suis l’énergie qui s’empile
D’Ungava à Manicouagan
Je suis Québec mort ou vivant !
[1] Voir à ce sujet le travail de Pierre Drouilly « Le référendum de 1995 : une analyse des résultats » disponible sur le site des Presses de l’Université de Montréal au [http://www.pum.umontreal.ca/apqc/95_96/drouilly/drouilly.htm]