Le camp du Leave aura été rapide à se dédire, une fois sorti vainqueur du référendum de ce 23 juin. Oubliées, les promesses centrales de son argumentaire sur l’immigration ou la sécurité sociale, des promesses mensongères qui auront pesé lourd dans la balance lors du scrutin. Il faut admirer l’impudence d’un tel discours hypocrite : aller jusqu’à refuser la responsabilité de propos peints sur son propre bus de campagne sort de l’ordinaire. Ainsi, le National Health Service (sécurité sociale, ndlr) ne recevra pas les £350 millions supplémentaires par semaine que le pays était censé économiser en sortant de l’Union Européenne (UE).
Mensonges, mensonges, mensonges
Il en est de même s’agissant de l’immigration des ressortissants de l’UE que le vote Leave avait promis de fortement réduire dès 2020. Celle-ci sera délicate à réguler, même hors de l’UE : le Royaume-Uni souhaitant rester au sein du marché unique Européen, il devra sauvegarder un strict respect de la liberté de mouvement des travailleurs.
Le camp Leave n’est pas seul à ne pas tenir ses engagements. David Cameron, premier ministre britannique, avait annoncé avant le vote la mise en pratique de l’article 50 du Traité de Lisbonne en cas de Brexit, qui annoncerait la sortie officielle du Royaume Uni de l’UE, Cameron prévoyait aussi de rester en poste jusqu’en 2018 le cas échéant, afin de superviser la transition. Rien n’en sera, puisqu’il a annoncé au lendemain du référendum son intention de démissionner en octobre prochain, ce qui laisse à son successeur le soin d’enclencher la procédure de sortie de l’UE.
Dans le flou, à tâtons
Une procédure de sortie qui laisse tout le monde perplexe : eurocrates, journalistes, partisans du Brexit ou membres du gouvernement britannique, nul n’a idée des démarches à entreprendre. À l’évidence, le camp pro-Brexit, n’ayant jamais envisagé une victoire électorale, n’a pas préparé de plan. Contrairement à l’Écosse, qui avait rendu un rapport de 643 pages en amont de son référendum, afin de se parer à l’éventualité d’une indépendance écossaise, Farage, Johnson et compagnie n’ont jamais cherché à substantiver leur discours d’un véritable travail de politique publique.
Les deux chefs du camp Leave s’étaient engagés par opportunisme politicien : Farage, pour promouvoir l’agenda Europhobe et anti-immigration de son parti d’extrême droite (UKIP, ndlr) et Johnson pour avancer son ambition de remplacer David Cameron. Boris Johnson, que la presse a retrouvé jouant au cricket avec un comte britannique le dimanche suivant le scrutin, et préparant sa candidature au poste de premier ministre, tout en refusant de parler aux médias. Ceci quelques jours avant de se faire trahir par son ami de trente ans, Michael Gove, ministre de la justice, qui après avoir assuré « Boris » de son soutien lui a coupé l’herbe sous le pied en se présentant à la chefferie du Parti Conservateur. Guerres internes et différents particuliers, voilà donc ce qui monopolise l’attention sur les terres d’Elizabeth. Jusqu’à l’élection, début septembre, l’incertitude se voit prolongée et les importantes décisions différées, au désavantage de tous.
Un tel amateurisme n’est ainsi pas surprenant et est à l’image d’une campagne qui s’est efforcée à abaisser le débat public dans des affres démagogues. Les avertissements du camp Remain quant au péril économique du Brexit, soutenus par de nombreuses institutions nationales comme internationales, et bien que dénoncés par le camp Leave comme une vulgaire tactique d’intimidation provenant « d’experts », étaient eux justifiés. L’affolement des marchés suite à l’annonce du résultat en témoigne.
Un vote démocratique ?
Très rare sont les observateurs extérieurs, politiques, financiers ou militants, à s’être réjouis du résultat de ce scrutin. Outre Trump et Poutine, de nombreuses mouvances indépendantistes à travers le monde ont applaudi cette issue, voyant dans ce vote une « victoire du peuple », où ce dernier impose sa volonté à la caste politique. Toutefois, un référendum est-il réellement démocratique lorsque l’électorat est trompé par ses politiques ? Lorsque la plupart des éléments à prendre en compte se sont révélés faux ? Certes, tout citoyen est capable d’informer par soi-même sa décision — même sur un sujet obscur et complexe comme l’UE — encore faut-il qu’il y ait une décision à prendre. Or, comme son manque de préparation le prouve, le camp Brexit ne présentait aucune alternative à l’UE, se contentant de la critiquer à l’aide d’arguments majoritairement biaisés.
Cela n’a donc pas été un vote pour décider de la place de la Grande-Bretagne dans l’UE ou non, mais un vote pour ou contre l’UE et ses principes. Voilà qui ne correspond pas aux critères d’un référendum de politique publique démocratique, qui se doit de proposer deux alternatives pratiques à l’examen du suffrage universel. Enfin, on peut aussi poser la question de la responsabilité des sondeurs qui, en conférant une large avance au vote Remain quelques heures avant le scrutin, ont eux aussi faussé la donne.
Population en otage
Le Royaume-Uni se retrouve aujourd’hui embourbé dans une situation sans queue ni tête et qu’il serait trop long de résumer ici. Le pays fait face à sa plus terrible crise politique interne d’après-guerre, ainsi qu’à une conjecture économique soudainement assombrie.
Ce référendum aura avant tout mis en lumière d’importantes fractures sociales et géographiques en Grande-Bretagne : Londres, l’Irlande et l’Écosse ont voté Remain, et les jeunes aussi, en masse. Les campagnes et les populations plus âgées ont quant à eux voté Leave. Voilà la preuve que l’hypothèse d’un délitement prochain du Royaume-Uni est plausible, après l’indépendance écossaise, probable, et l’unification irlandaise, possible.
Encore plus grave est cette jeunesse qui se retrouve dépossédée de son avenir par les générations précédentes, et qui a raison de se sentir aliénée. Mises à part les dissensions familiales que cela peut produire, cela donne lieu à une société qui doit se réconcilier avec elle-même. Brexiteers convaincus comme repentants devront s’entendre avec les 48% dissonants, dont la voix doit être entendue car une nation divisée ne pourrait renouer une relation harmonieuse avec le continent, ce qui est dans le meilleur intérêt de tous les partis.