Le metteur en scène Serge Denoncourt s’est lancé un défi de taille en s’attaquant à la pièce de Shakespeare la plus jouée dans le monde, une pièce qu’il rêvait de monter depuis son adolescence. L’entreprise s’est avérée être un succès, car c’est un spectacle à grand déploiement qu’il nous offre en transposant la tragédie romantique de la Renaissance dans l’Italie fasciste des années 30. En guise d’hommage au metteur en scène italien Visconti qui l’a inspiré pour cette pièce, Denoncourt dresse un portrait de l’aristocratie italienne oisive et insouciante, inconsciente des troubles politiques de l’époque.
Les personnages évoluent dans des décors gigantesques évoquant l’architecture fasciste italienne avec une touche de classicisme et de modernité. Constitués d’une mécanique complexe, les décors se composent d’un élévateur au centre de la scène servant à la fois de lit et de tombeau, et d’un mur pivotant faisant tour à tour office de balcon et de chapelle. Des projections contribuent également à représenter les différents lieux de l’action. Pour ce qui est du fameux balcon, Guillaume Lord, concepteur de la scénographie, explique dans un dossier spécial de La Presse du 16 juillet 2016 que « Serge Denoncourt voulait un balcon différent, quelque chose de plus abstrait et architectural que pour un Roméo et Juliette de la Renaissance. J’ai proposé de faire des périactes, un vieux système du théâtre de l’Antiquité. Ils deviennent ici des murs latéraux qui ont trois faces pour permettre trois textures différentes […]».
La mode italienne
Quant aux costumes, ils donnent aux spectateurs un fidèle aperçu de la mode italienne des années 30. En hommage au scénographe François Barbeau, collaborateur de longue date du metteur en scène, et mort en janvier dernier, certains personnages portent des costumes que ce dernier avait commencé à créer pour la pièce. Denoncourt a d’ailleurs collaboré avec le couturier italien Vincent Pastena, lequel avait des photos de famille datant de l’époque. À l’image du texte de la pièce, écrit en oxymores (la nuit, le jour ; la lune, le soleil ; la guerre, l’amour), les deux familles s’opposent par les couleurs de leurs vêtements : blanc pour les Montaigu, noir pour les Capulet. Les compagnons de Tybalt sont en chemises noires tandis que le Prince de Vérone porte un uniforme militaire noir rappelant celui de Mussolini, ce qui fait écho à la dimension politique de la mise en scène. Seuls les costumes portés au bal par les héros éponymes, scène mythique de la rencontre entre les deux amoureux, rappellent ceux de l’époque de la création de la pièce.
Denoncourt est resté fidèle à Shakespeare en misant sur la jeunesse des personnages de la distribution. La plupart des comédiens font partie de la relève théâtrale et douze des acteurs ont moins de trente ans, d’après ce qu’on peut lire dans une entrevue avec le metteur en scène pour le magazine Voir du 21 juillet 2016. Le jeu des acteurs reste constant tout au long de la pièce et possède l’intensité dramatique caractéristique de la tragédie. Cependant, ce jeu paraît quelque peu forcé à certains moments, notamment chez l’interprète de Juliette, Marianne Fortier, qui foule les planches pour la première fois. Ce sur-jeu peut être attribué à la volonté des comédiens d’honorer l’intensité tragique de la pièce et d’émouvoir le public. Soulignons toutefois le jeu remarquable de Benoît McGinnis, qui campe un Mercutio provocateur et moqueur mais aux prises avec une grande détresse intérieure. Quant à Debbie Lynch-White, elle interprète avec brio le rôle de la nourrice shakespearienne.
Lorsque l’amour ne suffit plus
La morale de ce « récit qui n’eut jamais de plus triste écho » est amère : l’amour pur et la jeunesse ne peuvent pas changer le monde. Du moins, c’est l’opinion de Shakespeare. L’actualité semble donner raison au dramaturge, et la transposition de la pièce dans l’Italie fasciste et en pleine période de montée de l’extrême-droite dans d’autres pays d’Europe parle encore davantage au spectateur contemporain. Toutefois, comme le dit Serge Denoncourt dans une entrevue accordée à La Presse du 16 juillet 2016 : « Je pense que comme adolescent, quand tu vois la pièce, ça te touche énormément, mais comme adulte, tu as ce regard sur l’adolescent que tu as été. » Et si l’amour à la fois excessif et pur qui unit Roméo et Juliette venait chercher l’adolescent en nous pour nous faire croire, le temps d’une pièce, que l’amour peut encore triompher de tout ?
Roméo et Juliette
Texte de William Shakespeare
Traduction française de Normand Chaurette
Mise en scène par Serge Denoncourt
Du 21 juillet au 18 août au TNM