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De l’usage de l’infotainment

Comment l’infotainment bénéficie à Donald Trump. 

Mahaut Engérant | Le Délit

La semaine passée, le candidat républicain à l’élection présidentielle américaine et puissant homme d’affaires Donald Trump était l’invité de l’émission « The Late Night Show » sur la chaîne américaine NBC. Cette émission populaire existe depuis 2009 et est construite sur le modèle d’un club comédie, mêlant des séquences humoristiques avec d’autres parties d’entretiens plus sérieux. 

Elle constitue la version originale de ce qui se développe de plus en plus dans le journalisme, « l’info-tainment », terme anglais décrivant la combinaison entre information et entertainment (divertissement, ndlr). L’animateur et humoriste Jimmy Fallon y accueille souvent tous types d’invités importants dans la culture populaire américaine, parmi eux acteurs, chanteurs et personnalités publiques. Barack Obama fut  par exemple l’invité de l’émission, lors de sa campagne présidentielle en 2012.

Le fait que Donald Trump, candidat controversé pour ses propos racistes — entre autres — ait été invité pour une quinzaine de minutes dans cette émission, n’est donc pas le problème majeur. Ce qui interpelle est, au-delà de l’émission, la répercussion qu’une séquence extraite a eue : on peut y voir l’animateur Jimmy Fallon demander au candidat républicain, qui culmine à 43%  dans les sondages, « est-ce que je peux jouer avec vos cheveux ?». S’en suit un acquiescement de Trump, qui voit sa tignasse d’un jaunâtre douteux — dont il n’a de cesse de vouloir prouver l’authenticité — bien ébouriffée. La vidéo est rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux.

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Mahaut Engérant | Le Délit

Le choix de l’infotainment

Ce passage, et le fait qu’il devienne viral, dérangent pour plusieurs raisons. En dehors du fait que Donald Trump ait quinze minutes de temps de libre parole à une heure de grande écoute sur la télévision nationale, la vidéo qui circule sur internet lui donne encore plus de visibilité. 

Pourquoi ? Parce que l’infotainment est la nouvelle manière de consommer de l’information et de rester à l’affut de l’actualité,              puisque c’est un format qui permet de s’informer et de se divertir en même temps, et ce, sans sentir le poids de l’information sérieuse. Quand nous consommons de l’infotainement, nous sommes plus disposés à écouter et enregistrer le contenu du fait d’une certaine notion de plaisir, à l’inverse de la contrainte.

L’infotainment et ses séquences drôles — qui sont génératrices de vidéos virales — font partie de la stratégie de communication de Donald Trump. Son équipe savait probablement qu’il se passerait quelque chose de décalé, qui permettrait de dévoiler une facette sympathique du candidat. Là encore, la diffusion de ses idées est effectuée dans un format qui libère du « temps de cerveau disponible ».

Un usage sournois du format

Mêlées à ces séquences drôles, Trump distille encore ses idées racistes, conservatrices populistes et démagogiques.

Deux exemples aident à comprendre cela au fil de l’émission. Le présentateur lui demande d’abord comment il compte aider l’économie, et ce d’une manière que l’on pourrait qualifier d’insolite.  C’est en effet lors d’une séquence humoristique, présentée comme une entrevue entre le président et lui-même devant un miroir. L’animateur, déguisé tel Donald Trump, est face à ce dernier et s’amuse à le mimer. 

Trump débite sans broncher une réponse hallucinante de vide : « je suis vraiment riche vous savez, je sais comment faire marcher un business, notre pays se portera bien mieux avec moi.» Au-delà de la plaisanterie, ses déclarations sensiblement inquiétantes sont alors secondées d’applaudissements et de rires du public.

Mais allant encore plus loin, lors de la séquence plus sérieuse de l’entrevue, il réitère son idée choquante de ne plus laisser les personnes de confession musulmane entrer dans le pays, et s’auto-justifie par un début d’applaudissement d’une personne du public. Il continue alors son raisonnement, exposant un lien douteux entre la communauté musulmane et les attentats qui se sont produits cette année — sans jamais prononcer le nom de l’organisation terroriste État islamique — qui est pourtant le vrai problème.

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Mahaut Engérant | Le Délit

Responsabilité journalistique et éthique politique

Au-delà de ces propos, le plus choquant est la troublante position de l’hôte et humoriste Fallon, qui le conforte dans ses positions tout au long de l’entretien. Il ne lui envoie que de rares piques, ce qu’il est pourtant censé faire lorsqu’il reçoit un invité, puisqu’il s’agit du format de son émission. Là semble être le vrai problème : l’animateur met Trump au même niveau que les autres candidats, en faisant de lui un candidat normal — alors que tout est sauf normal à propos de Trump. Il s’avoue lui-même être un candidat-surprise, déclarant ce soir-là « oui, je pense qu’Hillary Clinton va sûrement gagner ».

Comment quelqu’un qui tient des propos à la limite de la légalité peut-il être placé au même plan que les autres candidats par un animateur aussi populaire ? Se pose donc la question de l’indépendance des médias, qui est sous-jacente à la responsabilité journalistique et l’éthique politique de l’hôte : comment une telle émission peut-elle se permettre de tels écarts quand elle constitue l’un des principaux promoteurs de la culture populaire ? Comment l’hôte, étant nécessairement conscient de cette réalité, peut-il être à ce point bienveillant avec le candidat ?

L’infotainment n’est toutefois pas toujours problématique : lorsque bon usage en est fait, il peut permettre d’alerter le grand public sur une situation peu mise en avant par les médias traditionnels. Cependant, Jimmy Fallon, en invitant Trump et en lui permettant cette exposition particulière, confère à ce dernier un consentement général. Même si son passage dans l’émission ne lui a (heureusement) pas permis de bondir dans les sondages, cette décision de Jimmy Fallon marque un pas pour la candidature de Donald Trump et porte un coup à l’éthique journalistique des médias de masse américains.

Il est aussi intéressant de constater qu’à peu près au même moment en France, un évènement sensiblement similaire s’est produit. Le même type d’émission d’infotainment était à l’œuvre dans Le Petit Journal — émission de Canal Plus à l’image des émissions québécoises telles que Dan Late show, et Tout le monde en parle. Le nouvel animateur Cyrille Eldin, également un humoriste-journaliste-intervieweur, s’est permis de recevoir le numéro deux du parti d’extrême droite le Front National, Florian Philippot. Il a usé de la même complaisance tout en plaisantant avec une personnalité politique qui tient des propos inquiétants à la limite de la tolérance.

Les humoristes ont-ils donc leur place dans le paysage journalistique ? Ils ont la conscience de pouvoir toucher une audience particulière grâce à leur format si distinctif : il serait temps pour eux d’adopter une certaine conscience politique.


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