Le film Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée était projeté à Montréal dans le cadre du Festival du nouveau cinéma et est en salle depuis le 14 octobre. Il revient sur l’incroyable histoire de Nojoud Ali, une petite fille yéménite mariée de force à 10 ans et qui décide de demander le divorce. Cette histoire, c’est aussi celle de la réalisatrice Khadija al-Salami : mariée à onze ans, elle est parvenue à déjouer le destin qui lui était promis en devenant la première réalisatrice yéménite. Le Délit est parti à sa rencontre.
Le Délit (LD) : Comment êtes-vous arrivée au cinéma ?
Khadija al-Salami (KAS) : Ça a commencé quand j’étais toute petite, j’étais fascinée par la télévision et le petit écran. Lorsque j’ai dû chercher un travail à onze ans pour m’assumer financièrement, cela m’a paru une évidence et j’ai trouvé un petit travail dans une télé locale. Puis après, quand j’ai eu ma bourse pour faire mes études aux États-Unis, j’ai dû m’orienter vers des études d’ingénieur mais mon intérêt était toujours là. Donc j’ai décidé de prendre des cours de communication avant de me spécialiser dans la réalisation. En fait, j’ai vite compris qu’au travers du petit écran on pouvait non seulement changer les choses mais aussi faire rêver et voyager les gens.
LD : C’est vrai que de nos jours cela semble plus facile de toucher un grand nombre de personnes au travers d’un film plutôt qu’un livre par exemple.
KAS : Exact ! On dit toujours que les images sont plus fortes que les mots, et moi, quelqu’un de très timide qui ne parlait pas beaucoup, j’ai pu m’exprimer au travers de la caméra.
LD : Vous êtes une femme très engagée et cela se reflète dans vos œuvres qui s’articulent souvent autour de la cause de la femme au Yémen : pensez-vous aussi que le film est la forme la plus efficace quand il s’agit de défendre votre message ?
KAS : Oui, je fais mes films pour défendre et changer les choses mais aussi pour sensibiliser les gens, et ce malgré les nombreuses personnes qui ont tenté de me décourager ou les mises en garde de mon entourage. Je n’ai jamais abandonné car j’écoute mon cœur et mon expérience m’a prouvé que c’était la marche à suivre : les Yéménites sont vraiment ravis et prêts à apprendre et changer, ils n’en ont juste pas les moyens car le gouvernement n’investit pas dans l’Éducation et ne poursuit pas d’intérêts communs.
LD : Justement, comment êtes-vous perçue au Yémen et comment vos films sont-accueillis ? Sont-ils vus ?
KAS : Oui, malgré la sensibilité du sujet et le fait que beaucoup de personnes ne veulent pas que je les montre. Je les projette malgré l’interdiction ! J’ai fait un documentaire par exemple sur une femme prisonnière — c’était la première fois qu’on entrait une caméra dans une prison au Yémen, ce qui était audacieux… Et là tout le monde m’a averti que le film ne pourrait jamais être diffusé et effectivement le ministère de la Culture l’a censuré. Mais j’ai pris mon film, j’ai loué un projecteur et j’ai commencé à le diffuser dans les villages avant de finalement le présenter en ville… Mais je quittai le pays le soir même (rires). Donc je ne les écoute pas et je fais ce que je dois faire ! Grâce à ce film j’ai réussi à faire annuler la peine de mort de cette femme et à la faire sortir de prison, comme quoi il ne faut jamais abandonner lorsque l’on croit en quelque chose. En plus j’étais la première à aborder des sujets très sensibles et tabous et là la nouvelle génération me suit et veut faire comme moi. Je leur souhaite du courage, car on a toujours peur du gouvernement ou pour sa sécurité, mais il faut se détacher de ces peurs pour y arriver.
LD : Et pour revenir sur la génération future, en tant que première femme réalisatrice au Yémen : vous pensez que vous avez ouvert la voie pour d’autres cinéastes ?
KAS : Oui, j’ai l’impression, je reçois des lettres de jeunes qui disent qu’ils aimeraient bien être comme moi et je trouve que c’est bien si je donne envie aux jeunes yéménites de faire des choses. Ils me demandent des conseils et certains veulent travailler avec moi donc je trouve ça formidable !
LD : Pour vos films, avez-vous des difficultés à trouver des financements, étant donné que vous abordez des sujets sensibles ?
KAS : Oui c’était très difficile. Pour Moi Nojoom, au début, je n’avais même pas l’autorisation de faire le film car une réalisatrice française voulait le réaliser et avait derrière elle Gaumont Pathé, mais quand je l’ai appris cela m’a vraiment dérangée. Bien sûr elle aurait pu faire un très bon film mais il n’aurait pas été réalisé au Yémen et aurait eu un regard extérieur alors que pour moi ce film devait amener le changement, toucher les gens et surtout refléter la réalité. Donc je me suis battue pour avoir les droits et je les ai obtenus à la seule condition d’avoir un producteur français. Mais je n’arrivais pas à trouver les fonds, tout le monde me disait : « Qui va s’intéresser aux petites filles du Yémen ? ». Cela m’a pris 4 ans avant qu’une amie à moi décide de me financer.
LD : Dans ce film les acteurs sont yéménites, il devait donc y en avoir très peu qui étaient professionnels, voir aucun ?
KAS : Oui très peu, celui qui a joué le père travaillait déjà à la télé au Yémen mais du coup il surjouait beaucoup et il lui a fallu beaucoup de direction. Au final c’était plus compliqué de travailler avec les acteurs professionnels qu’avec les amateurs.
LD : Par exemple la petite fille qui joue Nojoud, c’était facile pour elle ?
KAS : C’est une fille intelligente, au début je ne pensais pas pouvoir trouver une petite fille et convaincre sa famille mais finalement ma sœur m’a demandé pourquoi je cherchais partout. Du coup les deux petites filles sont mes nièces et cela s’est très bien passé avec elles (rires).
LD : Et quelles étaient les conditions de tournage en ville et dans les villages ?
KAS : C’était très dur car il n’y avait pas d’électricité et on a dû louer un générateur (qui a été plus tard kidnappé sur la route). Lorsqu’on a finalement eu un générateur on a pu illuminer un village où on a attiré l’attention car beaucoup croyaient à un miracle. Un jour un vieillard qui était impressionné est monté sur le toit de sa maison et a fait une chute fatale. On m’a accusée de sa mort et j’ai dû payer pour ses funérailles etc… Une autre fois quelqu’un a rapporté aux villageois que l’on filmait quelque chose de « mauvais ». Ils sont tous venus et on a été obligé d’effacer le travail de trois jours de tournage. Mes comédiens et mon équipe en avaient marre de moi car je les emmenais dans des régions très difficiles. Et même arrivée à Sanaa filmer dans la rue restait compliqué à cause de la méfiance générée par les conflits politiques. À plusieurs reprises les gens se sont mis à nous jeter des pierres ! Un jour ce n’est que in extremis que l’on a réussi à sauver la caméra.
LD : Et pour finir quels sont aujourd’hui vos projets futurs ?
KAS : Je travaille sur un documentaire entre la France et le Yémen et j’ai deux fictions en cours d’écriture.
LD : Et vous avez une préférence entre la fiction et le documentaire ?
KAS : C’est différent. Le documentaire est plus simple parce que je peux être seule avec ma caméra et me débrouiller. La fiction, elle, requiert un budget plus important car on a une équipe et des acteurs donc c’est très compliqué, et lorsque je tourne au Yémen je n’arrive pas à me concentrer sur l’esthétique. La situation ne m’en donne pas les moyens. J’aimerais bien un jour pouvoir réaliser un film, au Yémen, où je pourrais donner vie à ma vision artistique et esthétique.