Alexandre Chartrand est un cinéaste-peintre québécois. Le Peuple Interdit est son deuxième long-métrage. Tourné entre 2014 et 2015, ce documentaire suit le processus de la « Consulta » — la consultation sur le statut de la Catalogne en 2014 — et le contexte en Catalogne après cet événement d’envergure.
Le Délit : Quelle était la motivation derrière Le Peuple Interdit ?
Alexandre Chartrand : J’étais inspiré par le mouvement citoyen en fait. Ce mouvement qui s’appelle l’Asemblea Nacional Catalana (ANC, ndlr), qui est né en réaction à un jugement du tribunal constitutionnel espagnol en 2010, qui annulait de grands pans du statut d’autonomie de la Catalogne. Il a été retranché par la tribunal central de Madrid. Deux jours après, grosse manif à Barcelone. Je parlais déjà catalan à ce moment-là donc je lisais les journaux catalans en ligne, pis c’était vraiment impossible de le manquer parce que c’était au-dessus d’un million dans les rues. Dans la foulée de ça, il y a eu la fondation de l’ANC. C’est lié à aucun parti politique, c’est vraiment sur une base bénévole. Voilà, je trouvais que c’était beau. J’aimais l’aspect très démocratique et ouvert de l’ANC. Il n’y a pas moins de 100 000 bénévoles qui travaillent derrière ça. J’avais envie d’aller filmer ça, ces gens-là. Pis quand ils ont annoncé le référendum au mois de novembre, je savais déjà que ça allait être le 300e anniversaire de la chute de Barcelone, donc je m’étais dit que ça serait cool d’aller filmer ça.
LD : Comment est-ce que vous expliquez d’avoir fait le choix de surtout filmer à Barcelone et Tarragona alors qu’on dit souvent que les velléités identitaires catalanes sont souvent plus fortes dans le nord ?
AC : C’est à cause de mes sujets. Mais aussi je n’avais pas de moyen de transport. J’étais très dépendant des autobus et des trains. De toute façon les gens que je suivais étaient actifs à Barcelone. Ferran Civit vient de la région de Tarragona donc il était souvent là-bas aussi. Mais c’est sûr que ça reste très urbain comme film.
LD : Comment expliquez-vous que les populations des autres communautés autonomes (sans parler du gouvernement) s’opposent tant au catalanisme ? S’agit-il d’un support au gouvernement central ou bien simplement d’une opposition d’identités ?
AC : Je sais qu’il y a beaucoup de préjugés envers les Catalans à l’extérieur de la Catalogne, je l’ai vécu moi-même. Je parle assez mal l’espagnol mais je parle très bien le catalan. J’ai ressenti ça même à Barcelone en fait. Des gens riaient de moi de façon méchante parce que je ne parlais pas l’espagnol, mais j’étais capable de leur tenir une conversation en catalan. Des espagnols m’insultaient en me disant que ça servait à rien d’avoir appris le catalan. Donc effectivement j’ai senti un petit peu que le catalan n’est pas bien vu. Certains catalans m’avaient dit que s’ils allaient ailleurs en Espagne et qu’ils parlaient catalan entre eux ils se faisaient souvent insulter. C’est sûr que je l’ai vécu un peu en tant que touriste donc je n’imagine pas ce que c’est pour un Catalan.
LD : Est-ce que l’Espagne est en panne démocratique comme l’affirme la cause catalane bien que de nouveaux partis percent la sphère politique traditionnelle (Podemos, Ciutadans)?
AC : Il y a une grosse tranche des gens à qui j’ai parlé qui étaient des fédéralistes, au sens espagnol du terme, c’est à dire voulant faire de l’Espagne une fédération. Ces gens ont été déçus parce qu’il n’y a pas d’interlocuteur à Madrid. Pourtant il y aurait les Basques qui seraient intéressés par ça, probablement les Valenciens. Il y a plusieurs régions autonomes à qui ça pourrait parler mais à Madrid, à part Podemos, il n’y en a pas qui ouvrent des portes dans ce sens-là. Beaucoup des Catalans à qui je parlais ont fait un pas de plus en disant : « La fédération est impossible parce qu’il n’y a pas d’interlocuteur, parce que ça fait des années que le projet est bloqué. » Quand le Tribunal constitutionnel retaille en plus le statut d’autonomie des Catalans, plusieurs fédéralistes se sont dit : « En plus de ne pas avoir de fédération, ils viennent jouer dans nos quelques droits. » La désillusion du fédéralisme a mené à l’indépendantisme qu’on connaît aujourd’hui. La panne démocratique s’illustre bien par la difficulté qu’ils ont à former un gouvernement à Madrid car ils ne sont pas capables de s’entendre à quatre partis. Ça et les histoires de corruption au PP (Partido Popular, ndlr) et de négociations pour que le PSOE (Partido Socialista Obrero Espanol, ndlr) oublie les poursuites de corruption contre le PP pour qu’il y ait un accord de coalition.
Ce qui m’a marqué le plus, c’est cette fermeture au simple fait de laisser les gens s’exprimer démocratiquement.
LD : Quels parallèles pouvons-nous faire avec le souverainisme québécois ? S’agit-il d’une situation bloquée ?
AC : Mon premier réflexe est bien sûr de faire des parallèles avec le Québec parce que j’avais 18 ans en 1995 quand il y a eu le référendum, c’était la première fois que je votais. J’avais ça en tête quand je suis allé en Catalogne pour faire ce film-là. La décision du Tribunal constitutionnel en 2010 me rappelait l’échec de l’accord du Lac Meech en 1988, quand le Québec a tenté de négocier son entrée dans la constitution canadienne. Et ensuite le fait que ça ait mené au référendum de 1995 avec un peu avant l’échec de Charlottetown en 1992. Donc c’est sûr que je voyais des parallèles, et en même temps on en déborde très vite. Beaucoup de Catalans par exemple admiraient la situation actuelle du Québec — la loi 101 (Charte de la langue française, ndlr) et le fait qu’ils puissent prélever des impôts.
Par rapport à une situation bloquée, je trouve vraiment inspirant la façon dont ils font fi complètement de ce que Madrid essaie de leur dire. Le fait que Mas (ancien président de la Generalitat, ndlr) et Forcadell (présidente du Parlement de Catalogne, ndlr) tiennent debout et qu’ils décident d’écrire une nouvelle constitution avec le développement durable et l’Euro ancrés dedans, plein d’enjeux très actuels, je trouve ça inspirant. Ici, on ne sait pas ce que le PQ propose concrètement. Est-ce qu’on est encore des loyaux sujets de sa Majesté ? Est-ce qu’on va être une république ? Ça va être quoi le système parlementaire ? Ça va être un système de vote uninominal à un tour ? Le projet de pays est très vague. À l’inverse en Catalogne ils sont vraiment en train de créer quelque chose.
En rafale
Le mot que vous détestez :
Repus
Votre drogue favorite :
L’alcool
Le son, le bruit que vous préférez :
Mon fils qui rit
Le bruit que vous détestez :
Les chiens qui aboient, à cause de celui de mes voisins
Votre juron, gros mot ou blasphème favori :
Tabarnak, pas très original
L’homme ou la femme à mettre sur un billet de banque :
Félix Leclerc ou Alfred Pellan
Le métier que vous n’auriez pas aimé faire :
Médecin, même si je gagnerais certainement plus d’argent en l’étant
Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise après votre mort :
J’ai une aversion pour ces choses-là, donc Dieu j’ai rien à lui dire