C’est un film avec un drôle de casting. Les têtes d’affiche ? Les chenilles processionnaires, le scarabée rhinocéros, la plante carnivore Drosera, l’araignée Argiope, le moustique Cousin achevant sa métamorphose…pour ne citer que quelques-uns des protagonistes du film Microcosmos, de Claude Nuridsany et Marie Pérennou. Filmé avec des outils créés sur mesure pour les besoins particuliers du tournage, Microcosmos accompagne le spectateur dans les tréfonds de l’univers des insectes. Grâce à des caméras précises au dixième de millimètre, commandées à distance par des robots, les réalisateurs-biologistes ont pu s’immiscer dans le cosmos de leurs protagonistes, une prairie de l’Aveyron transformée en studio. La caméra nous entraîne ainsi à travers les souterrains creusés par des fourmis moissonneuses, sous la surface des marécages où vivent les notonectes aquatiques, ou encore au cœur des fleurs où butinent les abeilles.
La possibilité d’une métamorphose
Microcosmos se distingue des documentaires animaliers habituels en s’émancipant de toute prétention à retranscrire et expliquer le comportement des non-humains. Microcosmos s’apparente au contraire à un conte naturel cinématographique, utilisant une approche singulière et poétique, loin des représentations usuelles du non-humain. Cette visée est particulièrement apparente dans le regard que portent les réalisateurs sur leurs protagonistes : en se mettant à la hauteur des insectes qu’ils filment et en adoptant leur vision, ils s’éloignent du format classique des documentaires animaliers adoptant une perspective humaine sur le non-humain. Là où d’autres érigent une frontière infranchissable entre humain et non-humain, Microcosmos nous fait découvrir une nouvelle dimension. Nous faisons l’expérience d’un monde à part entière, avec ses lois, ses sons, ses lieux et ses significations particulières. À l’échelle d’une coccinelle, toute goutte d’eau devient ainsi tempête. Microcosmos s’attache à nous faire ressentir l’« Umwelt » de ses protagonistes, cette expérience sensorielle de l’environnement, singulière à chaque espèce, théorisée par Jakob von Uexküll. En substituant son regard à celui de la caméra, le spectateur se transforme ainsi, en l’espace d’une heure quinze, en insecte parmi les insectes.
Une nouvelle relation avec le non-humain ?
Alors que la pression des activités humaines sur le non-humain se fait de plus en plus accrue, il est urgent de redéfinir notre rapport au non-humain, notamment aux autres espèces que la nôtre. Le rapport entre les animaux humains et non-humains est en effet souvent compris comme étant hiérarchique, l’humain se situant au-dessus des autres espèces en raison de ses facultés supposément distinctes. Cette perception d’une supériorité inébranlable des humains contribue à les placer dans la position d’administrateurs absolus de leur environnement, posture dont les conséquences éthiques et écologiques sont désastreuses. D’autre part, cette division radicale est aveugle à la diversité du vivant : comme le note Derrida dans L’animal que donc je suis, réduire l’ensemble des espèces non-humaines au concept « d’animal » ne permet pas de saisir leur complexité et leur hétérogénéité. Ce mépris de la richesse du non-humain participe selon lui à une « guerre des espèces ». En prenant le non-humain au sérieux, Microcosmos permet au contraire de déconstruire l’exceptionnalisme et la supériorité présumés des êtres humains. L’adoption de la perspective de différents insectes proposée par le film permet de dépeindre un monde résolument divers et unique, dont la valeur est indépendante de son utilité pour notre espèce. La richesse et la complexité du monde dépeint par Microcosmos remet ainsi en question notre rapport au monde en décentralisant l’humain. En nous mettant dans la peau d’insectes, Microcosmos nous invite à bousculer notre conception des autres espèces et de leur cosmos — fût-il microscopique.