La civilisation humaine a recours au génie génétique depuis des milliers d’années. Celles-ci nous ont permis d’apprivoiser des loups pour donner des chiens et de cultiver des bananes qui seraient autrement immangeables. Cependant, malgré l’énorme progrès que l’on a fait sur ce laps de temps, et malgré les nombreuses découvertes qui ont été effectuées, la plus marquante pourrait bien être la technologie du « clustered regularly interspaced short palindromic repeats » (CRISPR, « Courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées », ndlr). Cette technologie datant de 2007 permet à un laboratoire muni de moyens modestes d’effectuer des modifications génétiques sur un être vivant. En outre, ce processus, qui prenait près d’un an auparavant, peut maintenant être effectué en seulement quelques semaines, avec 99% du budget d’origine. La cerise sur le gâteau : cette technique est considérablement plus précise que ses prédécesseresses. Cette découverte a complétement tourné le monde de l’ingénierie génétique sens dessus dessous. Elle a causé un réel « boom » dans le secteur de la recherche et a rendu l’impossible possible. Elle inquiète aussi une certaine partie de la communauté qui considère que la technologie CRISPR permettrait à certains de marcher sur la frontière de l’amoralité.
CRISPR et McGill
Cette nouvelle technologie pourrait avant tout prévenir plusieurs malformations et maladies génétiques qui affectent près de 6% des naissances partout dans le monde. En utilisant ce nouveau procédé, on pourrait mettre fin à certaines maladies génétiques comme la trisomie 21 ou la maladie de Huntington. D’ailleurs, elle permettrait aussi de réduire le risque de développer une maladie à laquelle on est prédisposé génétiquement comme Alzheimer ou la maladie de Parkinson. Le laboratoire Majewski à McGill cherche justement un moyen de prévenir les maladies génétiques, notamment en utilisant la technologie CRISPR.
Cette technologie rendrait aussi possible la confection d’un remède pour des maladies qui ne sont pas nécessairement causées par notre code génétique. Il s’agit d’ailleurs du sujet de recherche du docteur Jerry Pelletier du département de biochimie de McGill, qui cherche un remède pour le cancer via l’utilisation du CRISPR. Au sein du même département, le docteur Chen Liang, quant à lui, utilise cette technique pour son étude sur le VIH.
Ces remèdes ne seraient cependant pas forcément des remèdes « directs ». Prenons l’exemple de la malaria. Cette maladie est parmi les plus meurtrières de notre histoire et a causé 438 000 morts en 2015. Elle se transmet via une certaine espèce de moustique. En modifiant le code génétique des moustiques porteurs, il est possible de s’assurer que ces insectes ne soient plus capables de transmettre la maladie. En quelques années cette modification artificielle s’exprimerait chez chaque individu de cette espèce et permettrait l’éradication de la malaria.
Néanmoins, il y a un problème qui découlerait de cette pratique : ces « remèdes » ne fonctionneraient pas pour les enfants des personnes affectées. En d’autres mots, il faudrait répéter le même processus à chaque nouvelle génération. Ceci est dû au fait que la technologie CRISPR n’affecte pas la production des gamètes — les cellules de reproductions — et donc les descendants des êtres modifiés conserveraient les gènes défectueux. Cependant, il existe une solution : les « bébés sur mesure ». C’est d’ici la source des problèmes éthiques.
Entre innovation et éthique
Le terme « bébé sur mesure » fait référence au fait de de modifier le code génétique d’un être humain avant sa naissance, au stade préliminaire, c’est-à-dire lorsque le bébé n’est constitué que de quelques cellules. Le domaine des modifications génétiques chez l’être humain est un sujet délicat. La question demeure à propos des limites que la communauté scientifique envisage de poser pour cette pratique. Certains diraient que l’on devrait limiter l’utilisation de cette technologie strictement à la prévention de maladies.
Même dans ce cas-là, on risquerait de créer un précédent pour modifier d’autres caractéristiques mineures. On finira peut-être par confectionner des êtres « parfaits » sans défauts. Ce concept, qui semble être sorti d’un livre de science-fiction, n’est pas nécessairement très loin dans notre futur. En effet, ce type de projet de recherche a déjà été réalisé en Chine en 2015. Ce dernier consistait à éliminer le maximum de défauts génétiques chez des embryons humains.
Ainsi, il existe maintenant des bébés génétiquement parfaits qui marcheront bientôt parmi nous. Bien sûr, ces problèmes liés aux modifications génétiques existaient déjà avant l’émergence du CRISPR, mais on en reparle aujourd’hui car cette technologie est maintenant accessible à un grand nombre de laboratoires qui ne suivent pas nécessairement les conventions du passé.
Repousser les limites
Enfin, la communauté scientifique craint que cette explosion de découvertes dans le domaine de la génétique nous permette de briser la limite de l’espérance de vie humaine. En effet, certaines études s’accordent à dire que l’espérance de vie humaine est biologiquement limitée aux alentours de 120 ans. Cette limite pourrait cependant être contournée à travers des modifications génétiques. On supprimerait ainsi les gènes qui accélèrent directement notre vieillissement et on rajouterait des gènes parvenant d’autres espèces qui ne vieillissent pas biologiquement comme la méduse ou le homard. Cette découverte serait peut-être avantageuse au niveau de l’individu, mais au niveau planétaire ce serait catastrophique puisque ça se traduirait par une nette augmentation de la population mondiale. Deux tiers de la population mondiale décèdent de causes liées à l’âge. En allongeant l’espérance de vie humaine, nous risquons un problème de surpopulation. En effet, il est dit que la Terre ne peut supporter que 10 milliards d’habitants. Si l’on étire l’espérance de vie, on risque d’atteindre ce nombre plus rapidement. Pour l’instant, il semblerait que ces craintes soient prématurées, puisque la technologie CRISPR est encore jeune et l’on ne connaît pas encore toutes ses limites. Comme toutes innovations de son genre, elle a ses avantages et ses risques. Comme le font remarquer Erika Kleiderman et Bartha Maria Knoppers, deux chercheuses diplômées de McGill, il y avait aussi une polémique autour du diagnostique préimplantatoire (DPI) avant que cette procédure fasse partie intégrante de la supervision de grossesses dans les hôpitaux. Seul le temps nous montrera l’impact qu’aura cette technologie sur notre vie quotidienne.