Rentré chez moi cet été, je me souviens lire une histoire pour enfants à mon cousin, et alors que je tournais la page illustrant des « indiens » tirant à la flèche sur des cowboys, il me demanda : « pourquoi les Indiens sont-ils énervés ? » Je lui répondis d’un rire triste : « peut-être parce qu’on construit des oléoducs sur leur territoire sans leur demander. »
La terre sous nos pieds
Tio’tià:ke (le « k » se lit « gu ») signifie en Kanien’kehá (la langue Mohawk/Agniers) « là où les courants se rencontrent », et c’est le nom que porte ce que l’on appelle aussi Montréal. Les Kanien’kehá:ka (le peuple Mohawk/Agniers) sont un des cinq peuples de la confédération autochtone Haudenosaunee (iroquois, et non « indien », qui est un terme erroné) qui vivent sur l’île de la Tortue (aussi appelée Amérique du Nord) depuis des temps immémoriaux. Il a existé et existe toujours des centaines de peuples autochtones sur l’île de la Tortue, aux langues et cultures variées. Comme ils le faisaient entre eux-mêmes auparavant, ils ont — lors de leurs rencontres avec les colons — échangé, formulé des alliances économiques, sociales, militaires, et établi des traités avec eux.
Nos pieds sur la terre
Quand les guerres entre empires coloniaux ont cessé, les États-Unis et le Canada se sont progressivement auto-proclamés souverains des terres autochtones, traçant et divisant arbitrairement d’un même trait de nombreuses communautés. Enfin, les états colons, afin d’affirmer leur prise sur le continent, ont entamé un processus de génocide socio-culturel par différentes méthodes : racialisation légale à travers la Loi sur les Indiens (Indian Act), confinements géographiques, assimilation forcée et violence étatique, entre autres.
Aujourd’hui, les autochtones représentent officiellement (mais probablement plus de) 4,3% de la population (Statistique Canada, 2011). C’est aussi une population extrêmement jeune dont l’âge médian est de 28 ans contre 41 pour les non-autochtones, et la population dont la croissance démographique est la plus forte au Canada. Quant à la colonisation, elle ne s’est pas évanouie avec les années. Elle s’est parée et couverte : silencieuse et évasive dans les manuels scolaires, elle s’est immiscée dans les esprits sous la forme de racisme, ignorance et violence, elle est devenue l’oubli de ceux qui ont été — et sont encore — là.
Ma démarche est risquée et est aussi à lire d’un œil critique : l’académicienne Cris/Métis Kim Anderson écrit : « Toujours sujets d’étude, [les peuples autochtones ont] été le lit et la fondation sur laquelle beaucoup d’«autorités » consultatives et académiques ont construit leurs carrières.» Dans le contexte colonial canadien, à la démarche d’observation d’un point de vue non-autochtone s’est presque toujours ajouté un caractère caricatural, ridiculisant et raciste.
Ce qu’on cache sous les pavés
Un des slogans des manifestations de Mai 68 en France était « Sous les pavés, la plage », encourageant les manifestants à déloger les pavés pour les jeter sur les forces de l’ordre. Titrer cette chronique ainsi sert d’interrogation, sur l’histoire de cette ville, du territoire américain et par extension, sur notre position, surtout en tant que francophones au Canada : à qui la ville appartient-elle ? Qu’est-ce qui est caché sous la ville ? Qu’a‑t-on caché dans la ville ? Qui cache, comment et pourquoi ? Qui réclame le territoire ?