Ce mercredi soir dans le bâtiment Leacock il ne faisait pas bon être mcgillois. Après avoir passé le début de soirée aux côtés des grévistes du SEOUM, Le Délit en est ressorti tout poisseux, deux heures étouffantes de chaleur et inimité ayant laissé leur marque.
Depuis plusieurs heures pour certains, une bonne heure déjà pour la plupart, ils sont une large centaine à attendre devant la porte de l’amphithéâtre 132. Ils ne savent pas qu’ils ne sont pas au bon endroit, pour cause, un signe collé au sol indique que la queue débute bien ici. Mais cela est faux, la file débute à l’extérieur, quiconque a posé ce signe ici, fort probablement l’organisateur Media@McGill, s’est trompé. Et ce qui n’était qu’une erreur innocente nous a tous précipités dans des tréfonds in-imaginés.
La frustration monte, il est 19 h passée, la conférence aurait déjà dû commencer, les esprits s’échauffent, les agents de sûreté postés à l’entrée en font les frais, essuient avec un stoïcisme légèrement irrité des interrogations de plus en plus impatientes. Il fait chaud, serrés, on ne peut pas bouger. Huit membres du Syndicat des employé·e·s occasionnel·le·s de l’Université McGill (SEOUM) se trouvent dans le vestibule de l’auditorium, entre les deux portes battantes ouvrant sur la salle. Séparés de la foule par un filet de sécurité, ils sont protégés de son animosité intermittente. De temps à autre, quelques commentaires désobligeants fusent, un chant est entonné : « Let us in ! Let us in !» ou même « Fuck your strike ! Fuck your strike ». Certains élèvent la voix pour défendre les grévistes car ils ne sont pas responsables du retard pris ; d’autres pour appeler au calme la majorité se contente de se dandiner nerveusement sur ses deux pieds.
Confusion et désordre
Finalement, les portes s’ouvrent. La foule à l’extérieur se déverse à l’intérieur, ceux à l’intérieur du bâtiment rentrent un par un dans l’auditorium. À côté du Délit, un responsable de sûreté s’inquiète de ne pas pouvoir controler un tel monde, lui ne laisserait pas rentrer quiconque.
Et alors que derrière on pousse, on force, il faut, un par un, se faufiler entre deux gardes, et s’engouffrer dans un étroit tunnel ; d’un côté comme de l’autre, les grévistes. Chacun se voit interpelé en rentrant à l’intérieur : « Vous franchissez un piquet », « Vous brisez une grève », « Vous discréditez nos efforts de mobilisation ». Pour la grande majorité, on baisse la tête, les yeux, ou on regarde droit devant, on fait de son mieux pour ignorer cette nuisance que l’on ne comprend peut-être pas. D’autres s’excusent d’un regard ou d’un mot furtif, pour se faire rabrouer d’un « Sorry doesn’t cut it ». D’autres encore, se faisant arroser d’accusateurs « Shame on you ! Shame ! Shame !» rétorquent d’un « You should be ashamed ». Et ils sont quelques un, ils sont nombreux à vrai dire, à ne pas cacher leur hostilité.
Une violence latente
« Fuck you » et injures verbales sont adressées, des regards agressifs sont décochés. C’est une frustration, emmagasinée depuis plusieurs heures à patienter en vain, qui remonte, et avec elle une violence insoupçonnée, vulgaire et malpropre.
Il n’est pas nécessaire de faire l’inventaire de ces mots échangés, ils se sont déjà échappés, ont peut-être déjà été oubliés par quelques uns. Mais nous devons être reconnaissants de ce rappel, qui nous fait comprendre sans faute qu’à McGill comme ailleurs, nous sommes capables de débordements irrespectueux et emportements ignorants. Ignorants, car peu étaient informés quant à la présence des grévistes, les raisons légitimes qu’ils avaient à se trouver là — il s’agissait de leur lieu de travail —, la nature de leurs revendications. Toutes ses informations ont eu du mal à faire surface au travers d’une atmosphère délétère et fiévreuse, mais il est du devoir de chacun de se renseigner sur ce qu’il se passe dans son campus, et qui nous concerne en tant qu’étudiant•e•s.
Six-cent passants plus tard, les grévistes sont évacués par l’intérieur de la salle, les services de sûreté préférant ne pas les laisser s’aventurer dans cette foule qui attend toujours de rentrer. Nombreux sont ceux à ne toujours pas avoir compris ce qu’il s’était passé. Le calme se fait doucement, l’on se remet à respirer, et l’on arrive déjà plus trop à croire à ces scènes s’étant déroulées quelques instants plus tôt, sous nos yeux.