Safia Nolin, Patrick Lagacé et Edward Snowden : bien qu’à première vue rien ne relie ces trois personnages, tous trois ont été confrontés aux conséquences insidieuses de la surveillance, et plus largement du conformisme social. Constamment surveillés, scrutés et policés, ces personnages caractérisent, chacun à leur façon, les différentes formes de la surveillance : l’une par un public qui, par la « cyberintimidation », impose ses normes sexistes, le deuxième par un service de police zélé et le dernier par les services secrets de l’un des plus puissants pays de ce monde. L’analyse de ces différentes situations nous fait réaliser la situation que l’engagement culturel, politique ou même journalistique de ces individus soumis aux regards du public, fait d’eux des cibles faciles pour les détenteurs de cette surveillance.
Edward Snowden et McGill
Le passage de l’ex-employé de la CIA à l’Université McGill aura été l’un événements phares de cet automne. Lors de ce discours, l’informaticien a rappelé l’importance du droit à la vie privée dans un état de droit. Toutefois, il semblerait que depuis ses révélations, les choses n’ont pas tellement changé. La surveillance est au contraire banalisée dans notre société. À titre d’exemple, il y a quelques années, les caméras de surveillances dans les lieux publiques provoquaient une polémique sans précédent, alors qu’aujourd’hui la vidéosurveillance semble être devenue une « nécessité » à la sécurité nationale. Pourtant, il existe encore très peu d’études qui confirment l’efficacité de cette mesure et peu remettent en question leur présence dans nos rues.
Une histoire qui agace
Et comme si la venue d’Edward Snowden ne suffisait pas pour relancer le débat sur la surveillance, La Presse nous apprenait que près d’une dizaine de journalistes ont été espionnés par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et Sécurité Québec (SQ). Le plus étonnant dans cette histoire sont les juges qui ont signés un peu trop facilement cette violation de la liberté de presse. Il y a quelques temps, tous nos politiciens étaient Charlie pour défendre la liberté de presse. Aujourd’hui, beaucoup de ces mêmes politiciens semblent avoir oublié que la liberté de presse ne s’arrête pas à quelques coups de crayons et qu’espionner les registres téléphoniques des journalistes revient à cracher sur la tombe de ce Charlie.
Safia Nolin et le conformisme aux normes sociales
Comme le rappelait Snowden, accepter d’être surveillé, c’est accepter de restreindre dans le futur notre liberté d’expression. C’est accepter la possibilité — dans des sociétés où les paroles à la marge sont déjà peu au centre des débats — de censurer toute parole alternative. Ce conformisme social se déroule déjà sous nos yeux comme le démontre Safia Nolin. Fortement critiquée pour sa tenue vestimentaire et son langage familier lors du Gala de l’ADISQ (Association québécoise de l’industrie du disque), Safia Nolin rappelle que le conformisme n’est pas seulement idéologique mais cible également nos comportements et nos identités. Cette forme de surveillance que certains tentent de faire passer pour une forme de protection de la liberté d’expression est dangereuse et liberticide. La saga Nolin rappelle donc que la surveillance par les pairs peut rapidement se transformer en une forme de « policing » qui restreint les individus de penser autrement. Toute entrave à la norme (ici la norme de féminité : le code vestimentaire et le langage étant ciblés) devient alors une excuse à la cyberintimidation et aux relâchements des commentaires sexistes.
Le poison technologique
Internet permet d’ouvrir une fenêtre sur une bibliothèque de connaissances quasi-infinie. Toutefois, au nom de la lutte contre la violence, on transforme cette fenêtre en un outil dangereux qui peut aussi bien devenir une cellule de prison restreinte. Malgré les lanceurs d’alertes tels que Snowden, malgré les livres prémonitoires tel que 1984 et les centaines de hashtags qui tentent de nous sensibiliser en une fraction de second, une culture de surveillance est tranquillement en train de s’installer dans nos sociétés. La militarisation de nos institutions et notre quête insatiable pour la sécurité semblent avoir accentué ce phénomène que plus rien ne semble pouvoir arrêter, et ça, c’est inquiétant.