Il y a quelques jours paraissait un article d’Isabelle Ducas dans La Presse Plus avec pour titre un avertissement : « Peintres Étudiants, à vos risques. » Le billet faisait écho aux multiples désillusions vécues par plusieurs jeunes étudiants s’enrôlant dans des programmes d’entrepreneuriat strictement encadrés, comme celui offert par Peintres Étudiants, filière francophone de Student Works Painting (SWP), une compagnie d’origine ontarienne. En démystifiant cette organisation et en prenant compte l’appel à la conscientisation émis par Isabelle Ducas, on découvre des faits pour le moins alarmants prenant place sur le campus mcgillois.
Peintres Étudiants : qu’est-ce ?
Peintres Étudiants est une compagnie originaire de Toronto qui a connu de très modestes, mais honnêtes débuts. Selon les propos récoltés lors des rencontres de recrutement, il s’agirait de deux amis étudiants qui, afin d’éviter les emplois au salaire minimum, ont décidé de se lancer en affaire pour combler leur été 1981. Le modèle était bien simple : offrir de revigorer les maisons de leur voisinage en grand besoin de coups de pinceau à un prix des plus compétitifs.
La légende veut que leur succès fut tel que très rapidement, il releva de l’impossible de s’acquitter seul des contrats emmagasinés. Ils embauchèrent alors leurs amis en tant que peintres et endossèrent le rôle de gestionnaires. Peu à peu, leur projet prit de l’ampleur et ils divisèrent les rôles de gestion parmi leurs employés par voisinage, puis par région. Depuis, Peintres Étudiants dit avoir servi des centaines de milliers de propriétaires à travers le Canada, ainsi qu’être la source de plusieurs franchises à succès. Ceci étant dit, les débuts modestes et honnêtes des deux amis entrepreneurs ne semblent pas avoir été en mesure de donner le ton moral et éthique à l’organisation.
Aujourd’hui, il existe deux moyens d’intégrer les rangs de Peintres Étudiants : premièrement, on peut être embauché par une franchise en tant que peintre et travailler sous contrat l’été durant. L’autre alternative, qui concerne davantage McGill, est d’être franchisé, tout comme on le peut chez McDonald’s, en achetant un droit d’exercice et en assumant les divers coûts liés à l’exploitation de la franchise. Si rien ne sort de l’ordinaire sur la forme, c’est une tout autre histoire sur le fond.
Contourner les règles
Avant d’en venir aux spécificités douteuses d’un tel programme, voici un exemple commun des techniques de recrutement utilisées par l’organisation : des méthodes qui sont ironiquement auto-incriminantes. À McGill, il est interdit pour toute compagnie de ce genre, dite « à la commission », de faire de la publicité directement auprès des étudiants. C’est à travers MyFuture McGill, une plateforme de recherche d’emploi réservée aux étudiants de McGill, que les employeurs et les organisations peuvent légalement offrir des opportunités d’emplois à la population étudiante, selon Mme Marie-Josée Beaudin, directrice du centre de placement de Desautels rencontrée la semaine dernière par Le Délit. Toute autre forme de sollicitation est proscrite sur le campus et l’Université interdit explicitement aux entreprises comme SWP de recruter à McGill.
Néanmoins, au début de la session d’automne 2016, des dizaines de formulaires ont circulé pendant deux semaines dans les amphithéâtres et classes du campus. Ces formulaires incitaient les élèves, peu importe leur programme, à inscrire leur nom et leur numéro de téléphone afin d’être invités à une réunion ultérieure. Cette opportunité se nommait le Summer Management Program (SMP), un titre qui, aux premiers abords, semble presque évoquer une collaboration avec l’Université McGill. Une expérience inégalée qui développerait compétences de leadership et d’entrepreneuriat est promise aux étudiants avec, en gras, la somme tape-à‑l’œil de 17 000$. Premier doute : c’est normalement l’opposé qui a lieu, soit l’étudiant qui sollicite l’opportunité et non le contraire
Une rencontre avec Gabriel
Pour en savoir plus, Le Délit s’est rendu au luxueux McGill Faculty Club, où nous attendait Gabriel, l’exemple parfait du succès. Rapidement, le voile tombe : le SMP est (vous l’aurez compris) synonyme du SWP. La présentation est minutée, tellement l’affluence est forte. Inquiétant. Gabriel nous fait rêver avec ses chiffres venant d’une autre dimension : 100 000$ de chiffre d’affaire pour Gabriel en un été, une somme dont il récupère environ 30%. Il demande aux gens présents s’ils savent combien cela fait. Les cinq personnes présentes se sont plutôt demandé si la question était sérieuse, plutôt que d’être imprssionés par les profits potentiels. Bref, une opportunité en or. On peut déjà s’inscrire pour la prochaine réunion, cette fois-ci avec le regional manager (directeur régional, ndlr). Gabriel est insistant. Serait-il payé par tête recrutée ?
Ce genre de rencontre a une odeur de régime pyramidal dès la première minute. Récapitulons : des dizaines d’étudiants de McGill ont déclaré un intérêt envers le SMP, qui s’avère être en fait être un voile pour le SWP, une organisation qui a non seulement des allures pyramidales, mais qui est bannie de recrutement sur le campus. Doutes confirmés.
Le risque et la pression
L’aventure est à vos risques. Bien que le potentiel de revenu soit réel, celui d’échouer l’est tout autant, sinon plus. On demande des frais de démarrage pouvant dépasser les 5000$, et on suggère même de prendre une marge de crédit. Certains entrepreneurs ont été poursuivis par leurs entrepreneurs pour salaire non-payé, et ont même poursuivi Peintres Étudiants pour fausse représentation et support inadéquat.
Toutefois ce qui est réellement alarmant, c’est l’hypocrisie de Peintres Étudiants qui envoie des émissaires comme Gabriel pérorer que « SWP fait partie des meilleurs stages selon Forbes » (ce qui est faux) et qui se cache derrière des masques comme Summer Management Program. Les risques ne sont jamais stipulés formellement et la pression poussant à continuer le processus est des plus pernicieuses (quatre appels après une première rencontre et aucun temps de réflexion n’est alloué). On pousse pour une signature rapidement du contrat et à foncer tête baissée dans le monde exploiteur des organisations pyramidales. Alors, il faut prendre du recul et se questionner sur la nature de cette organisation. Peintres Étudiants cible les masses universitaires, car ils ont tout à gagner à ce que ce public s’engage dans leur programme. Point principal à de ce texte : tout formulaire de sollicitation qui circule dans les classes n’est, sauf si explicitement mentionné, pas autorisé ni endossé par McGill. Avec cet avertissement en tête, les étudiant·e·s sont, heureusement, libres de faire leurs choix !