J’avais à peine seize ans la première fois que j’ai mis les pieds de l’autre côté des portes d’un restaurant, à la recherche d’un premier job comme bon nombre d’ados. Des planchers en céramique, un dish pit métallique et, surtout, de la vaisselle sale à perte de vue. En lisant Le plongeur de Stéphane Larue, ces souvenirs me reviennent à l’esprit. Sauf que, contrairement à mon expérience de la plonge, le temps passé le nez dans ce livre s’avéra très agréable.
Ce premier roman de l’auteur, publié en 2016 chez Le Quartanier, relate les mésaventures d’un jeune homme qui s’empêtre de plus en plus dans l’univers du jeu, par le biais des machines à sous. Détaillant minutieusement ces scènes, qui parsèment toute l’œuvre, Stéphane Larue rejoint le lecteur et lui insuffle cette impression de tension, ce besoin malsain de jouer pour gagner et, avec un peu de chance, pour se refaire alors qu’il est au plus bas. « Mon cœur pompait de la lave, mes yeux ont fondu dans leurs orbites, réduits à deux petits orbes brulants qui ne percevaient plus que les séquences chanceuses s’accumulant tour après tour. »
Lorsqu’il ne se trouve pas dans un bar minable sur Ontario, le personnage principal — qui parle à la première personne tout au long du récit — passe le plus clair de son temps dans le milieu de la restauration. Plongeur dans un restaurant luxueux, il y rencontre de nombreux personnages qui colorent le roman ; c’est grâce à ces individus, que ce soit les cuisiniers, les serveurs ou la busgirl (aide-serveuse, ndlr), que Le plongeur se déploie véritablement. Avec une aisance surprenante, l’auteur nous les décrit et les fait vivre dans tous leurs excès, dévoilant des hommes et des femmes plus grands que nature. C’est là la plus grande réussite du roman : créer un univers où le sort des personnages secondaires nous intéresse autant que les méandres du protagoniste.
Cet univers se bâtit aussi par un ensemble de références propre au tournant du siècle : les cassettes sont à la mode, le walkman permet de s’isoler dans un monde de possibilités musicales – les références aux groupes métal de l’époque s’enchaînent à un rythme effarant – le narrateur ne se promène jamais sans sa pagette, « à la télé, Claude Rajotte détruisait le premier album de la fille d’Ozzy Osbourne ». Il n’en faut pas plus pour rejoindre la fibre nostalgique de tout jeune ayant traversé sa phase rebelle au début des années 2000.
Ce premier roman de Stéphane Larue épate par son style et son contenu. En empruntant parfois un ton plus poétique, parfois plus terre à terre, il crée un effet de tension qui plonge le lecteur dans la réalité d’une dépendance peu abordée chez les jeunes, l’addiction aux jeux. Malgré ce thème assez sombre, Le plongeur saura plaire à tous, que vous ayez eu à souffrir les affres des interminables piles de vaisselles ou non.