Dans le cadre de son exposition « Séoul c’est Loin », qui s’est déroulée à la Glass Door Gallery du 27 au 29 janvier, Jules Tomi s’est penché sur la Corée du Sud. Ses photographies nous révèlent les cicatrices d’une modernisation précipitée et posent la question de la mémoire. À la croisée du photojournalisme et de l’ethnographie, son travail capte des instants purs, sans mise en scène. Le Délit est parti à la rencontre de ce jeune photographe talentueux.
Le Délit (LD): Pourquoi avoir choisi la Corée du Sud ?
Jules Tomi (JT): Mon intérêt pour la Corée remonte à environ cinq ans. J’avais commencé à regarder des films coréens un peu par hasard. C’est un cinéma qui est très intéressant parce qu’il est profondément dynamique et varié. De fil en aiguille, j’ai fini par m’intéresser aux problématiques sociales et politiques abordées dans ces films. Quand j’ai intégré McGill, j’ai pris plusieurs cours sur l’Histoire et la langue coréenne afin d’approfondir mes connaissances. Au bout d’un moment, me rendre en Corée est devenu une évidence.
LD : Avais-tu un projet déjà bien défini avant de partir ou s’est-il dessiné au fil du voyage ?
JT : Je savais que j’allais en Corée pour prendre des photos, mais j’ignorais quelle forme prendrait mon travail. Vers le milieu de mon voyage j’ai pris une photo qui m’a inspiré le terme « post-industrial melancholy » (mélancolie post industrielle, ndlr). J’ai su dès cet instant que ces trois mots seraient le fil conducteur de mon projet.
LD : Qu’entends-tu par ce terme ?
JT : Il s’agit de ce que j’ai ressenti dans ce pays qui se trouve entre deux étapes civilisationnelles. La Corée s’est modernisée extrêmement vite, ce qui a donné lieu à toutes sortes de crises sur les plans politique, économique et social. Le pays est inévitablement marqué par cette tension entre l’ancien et le nouveau. C’est quelque chose que j’ai cherché à faire paraître dans mon travail. Ma photographie intitulée Passage fait référence à un passage à travers le temps. On y voit une muraille qui a probablement des centaines d’années derrière laquelle se trouvent des grands ensembles d’habitations modernes. Mon projet se penche également sur le dialogue entre zone urbaine et zone rurale. En effet, les villes sont le site de la modernité, tandis que les campagnes représentent la tradition.
LD : Comment la tension entre modernité et tradition se manifeste-t-elle dans ton travail ?
JT : Pour reprendre Alexis de Tocqueville, une société cesse de fonctionner à partir du moment où les feux du passé n’éclairent plus l’avenir. Le futur doit être construit en relation à une certaine mémoire. Dans un pays comme la Corée où tout change très rapidement, on a tendance à vouloir se débarrasser du passé. La question que je pose dans mon travail est : existe-t-il un effort de mémoire et cette mémoire est-elle sélective ?
LD : Pourquoi as-tu intitulé ton exposition « Séoul c’est Loin » ?
JT : Je ne parle pas d’une distance géographique. La distance vient du fait que la modernisation est un phénomène difficile à comprendre de par sa rapidité. La Corée s’est modernisée en seulement cinquante ans. C’est difficile de rester sain d’esprit dans un contexte aussi intense où tout va très vite.
LD : Tu te définis comme un photographe social. Qu’est-ce-que cela signifie ?
JT : Ma pratique de la photographie est très influencée par la sociologie qui est le domaine dans lequel j’étudie. À travers mes photos, j’essaie de témoigner de ma compréhension de certains phénomènes sociaux. Je m’inspire du photojournalisme, de la photo documentaire, mais je ne recherche pas l’objectivité.