La désinformation médiatique est la nouvelle « bête noire » du moment. C’est d’ailleurs cela qu’Eva Bartlett, journaliste indépendante canadienne, a tenté de contrer lors de sa conférence sur la Syrie donnée à Montréal le 28 janvier 2017. Devant une salle attentive, majoritairement d’origine syrienne, elle fait le récit de la guerre en Syrie, selon elle mal représentée par les médias traditionnels. Ce récit, qu’elle qualifie de « real truth » (vérité réelle ndlr), se base sur ses recherches personnelles et ses entrevues avec des Syriens qu’elle a entreprises lors de ses six voyages en Syrie depuis les débuts du conflit en 2011.
Selon Bartlett, la couverture médiatique du conflit par les médias « mainstream » est fondée sur de fausses sources et ne reflète pas adéquatement la voix de la population syrienne. Pour elle, il ne s’agirait pas d’une guerre civile ou sectaire, mais plutôt un conflit orchestré par les grandes puissances (États-Unis, l’OTAN, etc.), en collaboration avec des groupes terroristes, dont l’ÉI.
Sa présentation portait avant tout sur les événements récents à Alep, notamment la prise de la ville par les forces pro-régime. Si la plupart des médias parlent d’événements meurtriers, de crimes contre l’humanité, et de lourdes offensives par l’armée envers la population, Bartlett, elle, parle d’une « libération ». Ouvertement pro-Assad, elle soutient l’idée que les forces du régime ont l’appui de la population. À l’inverse, les rebelles qui occupaient une partie de la ville sont, selon elle, des terroristes décrits comme des victimes par la couverture médiatique occidentale. De même, elle célèbre l’intervention russe qu’elle considère positive pour la résolution du conflit. Il est important de noter que Bartlett a récemment fait polémique pour ses publications dans le journal Russia Today, un organe médiatique en partie contrôlé par le Kremlin.
Les panélistes ont ouvertement montré leur hostilité envers les journalistes invités
Si l’on peut louer la prise de parole qui contredit le discours dominant, il faut néanmoins préciser le caractère partisan et populiste de la conférence. L’idée n’était pas tellement d’offrir un autre point de vue, mais plutôt de délégitimer l’angle fourni par les médias occidentaux. Ceux-ci étaient d’ailleurs particulièrement mal accueillis. À plusieurs reprises, les panélistes ont ouvertement montré leur hostilité envers les journalistes invités.
À un moment, plusieurs personnes se sont levées pour insulter une journaliste présente, en criant « Honte à eux !» entre autres injures. Interrogée par Le Délit par la suite, la concernée a affirmé n’avoir « jamais vu ça au Canada ».
Le manque de diversité d’opinion, à la fois parmi les panélistes et l’audience, a également servi à décrédibiliser cette conférence. En effet, à plusieurs reprises, la salle s’est remplie d’applaudissements suite à des propos de Bartlett louant l’intervention russe, l’armée syrienne, ou suite à des critiques envers la « soi-disant Armée syrienne libre ». Le message de Bartlett perd également de sa crédibilité lorsque que celle-ci nie des faits prouvés par l’ONU et autre organismes internationaux, tels que l’utilisation d’armes chimiques par l’armée syrienne à Ghouta.
L’aspect le plus problématique de son message est peut-être le fait qu’elle considère parler pour « les syriens que l’on n’entend pas », tout en admettant n’avoir jamais été à Alep Est. Comment peut-elle donc affirmer que les habitants d’Alep se réjouissent largement de la « libération », sans entendre les voix de ces mêmes Syriens libérés ? Bartlett semble présenter beaucoup de « faits alternatifs », ce qui nous pousse à nous demander si cette condamnation de la désinformation n’est pas elle-même… désinformée.