Mes grands-parents aiment souvent me rappeler à quel point tout était mieux avant : la musique, l’ambiance… la vie en général n’avait — à les écouter — rien à envier à celle que nous menons aujourd’hui. Si respectable que cette prise de position puisse être, elle s’avère à mes yeux être aussi erronée qu’éculée. Et pour un certain nombre d’individus, qu’ils soient autoproclamés puristes ou simplement peu informés sur le rap, ce dernier ne déroge pas à la règle.
PNL, Jul, et même Booba (pour ne nommer qu’eux) sont souvent cités par les fers de lance de ce courant de pensée, qui affirme à qui veut l’entendre que les rappeurs actuels sont moins techniques, moins engagés, moins réfléchis dans leurs textes, et implicitement plus ou moins calqués les uns sur les autres. Et pourtant, le rap n’a pas changé : un homme ne change pas en vieillissant, il évolue. Il en est de même pour le rap, qui, en évoluant, s’est imprégné de diverses influences, a acquis un auditorat bien plus varié, et a ainsi vu en son sein émerger ses nouvelles déclinaisons. Le rap n’a ainsi en aucun cas accouché de ses propres bourreaux, comme certains aiment le clamer. Les rappeurs d’aujourd’hui sont simplement différents de ceux d’hier. Prenons les exemples d’un Josman, d’un Freeze Corleone 667 ou encore d’un Fouki ; il existe une multitude de jeunes prometteurs, se dissociant certes de leurs ainés, mais leur rendant hommage par la qualité de leurs œuvres.
Un éternel renouvellement
Le réel problème viendrait du fait qu’aujourd’hui, trop d’auditeurs souhaitent un retour aux sources, à l’époque où les textes engagés d’Assassin côtoyaient les hymnes estivaux de La Clinique. En réalité, le rap a toujours été et continue d’être un mélange de genres, avec certains rappeurs prônant des écrits conscients, et d’autres des musiques d’ambiance, moins centrées sur l’engagement social ou politique.
Et c’est pourquoi la jeunesse actuelle, moins engagée et moins politisée, préfère au Gouffre la Sexion d’Assaut, et aux textes engagés d’un Nekfeu ceux étant plus festifs, plus divertissants.
À chacun de se reconnaitre dans ce qui lui convient le mieux, ou même dans les deux. Car ce n’est pas le rap qui a changé, mais le public et la société de consommation qu’il implique : c’est pourquoi on assiste actuellement à un affrontement constant au sein du « rap game », où chaque artiste doit tirer son épingle du jeu en parlant à un public lui étant propre s’il espère réaliser des ventes. En ce sens, le débat entendu et réentendu sur « tel rappeur est meilleur qu’un tel » n’a pas lieu d’être, surtout pas en comparant deux rappeurs issus de générations différentes. Cela serait aussi absurde qu’un débat impliquant une comparaison entre Fabien Barthez et Lionel Messi : tous les rappeurs ne jouent pas le même rôle, surtout s’ils n’évoluent pas à la même époque. Les mœurs changent, les envies du moment avec elles. Et c’est pourquoi la jeunesse actuelle, moins engagée et moins politisée, préfère au Gouffre la Sexion d’Assaut, et aux textes engagés d’un Nekfeu ceux étant plus festifs, plus divertissants.
Le rap, bastion de l’indépendance
Enfin, nul ne pourrait parler du rap actuel sans saluer l’indépendance artistique de ses acteurs. Celle-ci, permise par la surexposition que confère le développement d’Internet par rapport à l’impopularité du genre dans ses jeunes années, met des artistes sur le devant de la scène, et ce sans qu’ils aient besoin de se plier aux exigences des maisons de disques. Pour reprendre des exemples cités ci-dessus, le groupe PNL, n’ayant jamais donné une interview, Booba, lançant aujourd’hui sa propre radio ou encore Nekfeu, connu uniquement grâce au Web, représentent tous à leur façon l’indépendance, et l’authenticité musicale qu’elle implique. Pour reprendre les paroles d’un artiste que j’apprécie personnellement (mais aussi celles d’un morceau que j’apprécie beaucoup moins), non, le rap n’était pas mieux avant : « Le rap, c’est mieux ». N’en déplaise à mes grands-parents.