L’idée du « Mois de l’histoire des Noirs » me paraît étrange. De qui parle-t-on exactement ? Que sont les Noirs ? « Race » ne tient pas, scientifiquement, « peuple » non plus : mes ancêtres africains furent vendus il y a 300 ans par leurs frères aux esclavagistes ; aujourd’hui nos cultures et nos langues diffèrent. Peut-on toujours parler de famille ? Point de rancœur ici mais plutôt une question : suis-je Noir simplement parce que noir ? Parler de tous les noirs me semble strictement impossible, je tenterai donc de traiter la question dans le cadre du continent nord-américain.
Il s’agît de montrer que l’idée du « Noir » est une chimère, créée par les colons voulant justifier leur entreprise, puis revendiquée par les noirs eux-mêmes. L’idée d’une négritude qui lierait magiquement les noirs d’Afrique et d’Amérique — et par extension tous les noirs du monde — ne repose sur rien, et est objectifiante : devons-nous nous sentir proches du fait de notre couleur de peau ? Non.
« D’où vient ce droit du noir sur le noir ? »
Pourtant aujourd’hui les Noirs semblent fournir des efforts considérables pour entériner l’idée d’une communauté liée, pour toujours, par la peau. Quiconque déroge à cette unité s’expose à une excommunication ; « Uncle Tom », « house negro », « coconut » : autant de mots pour les noirs traitres à leur race, blancs à l’intérieur, noirs à l’extérieur, ceux qui divergent du comportement du bon noir tel que vu par les autres noirs, ceux qui votent Républicain, ou pire, pour Trump. « D’où vient ce droit du noir sur le noir ? », question lancinante qui me hante depuis trop longtemps ; il me semble pourtant évident qu’un noir n’appartient qu’à lui-même.
Ce communautarisme auto-imposé me semble contrarier tous les efforts du Civil Rights Movement qui luttait pour supprimer tout fardeau et obligation liés à la race. Agir en fonction d’un caractère aussi arbitraire que la peau, ou ne pas lutter pour que toute signification attachée à ce caractère disparaisse, c’est se soumettre à l’histoire, admettre que sa propre liberté est inutile, puisqu’inexistante.
Il est souvent avancé que revendiquer sa négritude est une arme permettant de se défendre du racisme. Il est intéressant de questionner les conséquences de ce propos. D’une part, on entérine dans les esprits qu’il y a des différences insurmontables entre les ethnies. D’autre part, on essentialise les minorités, on en fait des victimes éternelles, un schéma que reproduiront nos enfants.
En poussant l’idée plus loin, on peut se demander à quoi bon vivre ensemble. Si les Noirs méritent un traitement différent des Blancs, pourquoi ne pas recréer des quartiers blancs et des quartiers noirs ? Pour vivre mieux vivons séparés. Pourquoi accepter des immigrés s’il est nécessaire de créer une structure étatique différente ? Créons directement un pays de blancs, un pays de noirs, etc. « Seperate but equal » n’est-ce pas ?
Cette idée me paraît bien absurde. Faisons preuve de discernement, le racisme n’est pas une fatalité. Cependant le vaincre implique d’éradiquer toute discrimination et tous les identity politics. Faire l’effort d’engendrer une société où chacun sera considéré en tant qu’individu, où l’on entendra plus « les blancs ne peuvent pas dire ceci » ni « les noirs ne doivent pas dire cela ». Une fois ce point atteint, on peut se poser la question « Mais les noirs étant majoritairement plus pauvres, ils le resteront si on ne fait rien ». Certes, mais le problème sera alors autre que racial. Il peut être économique avec par exemple un système empêchant l’ascension sociale, politique avec un gouvernement qui dessert ses citoyens, ou social avec un communautarisme qui finit par étouffer les initiatives.
Il est temps donc de mettre fin à l’idée du « Noir », de rendre au nègre sa liberté pour devenir individu. J’aimerais laisser les derniers mots à Frantz Fanon, à propos de ce que les noirs devraient ressentir par rapport aux blancs : « Je ne sais pas, mais je dis que celui qui cherchera dans mes yeux autre chose qu’une interrogation perpétuelle devra perdre la vue ; ni reconnaissance ni haine. Et si je pousse un grand cri, il ne sera point nègre. »