En 1763, Voltaire publiait son Traité sur la tolérance, ouvrage on ne peut plus opportun ces jours-ci. Il y affirme « qu’il faut regarder tous les hommes comme [ses] frères ». Après la tragédie de Sainte-Foy, les Québécois ont fait preuve d’une telle fraternité par leurs gestes en soutien à la communauté musulmane. L’heure est désormais à l’examen de conscience. La lutte contre l’islamophobie requiert une injection de tolérance dans le débat identitaire québécois. Néanmoins, la censure ne nous permettra pas de parvenir à cette fin.
Vers une confession du racisme au Québec
Le 24 janvier 2017, Jeff Fillion niait l’existence même du racisme à Québec dans un échange avec le rappeur et historien Webster. Bien des Québécois partagent cet avis – c’est, dit-on souvent, un phénomène marginal et isolé, l’histoire d’une minorité. On se complait dans cette illusion. Jusqu’à récemment, on s’enorgueillissait en se comparant aux Américains pour montrer l’absence d’animosité à l’égard des communautés culturelles au Québec. Après tout, c’est eux qui ont élu un président xénophobe.
Si les tensions ethniques n’ont pas la même ampleur qu’aux États-Unis, l’islamophobie sévit néanmoins ici-même. Le problème est exacerbé par les amalgames dont certaines communautés sont victimes – plusieurs enchevêtrent le sens des mots musulman, arabe, islamiste et djihadiste. Le peuple québécois est désormais plus sensible à la question ; il s’est récrié contre les sources de haine.
Préserver le dialogue de toutes les idées
Les radios d’opinion de Québec, notamment, ont été pointées du doigt. Qu’ils soient la racine ou le fruit de la xénophobie, les animateurs de ces radios ne devraient cependant pas être censurés pour leurs propos choquants. Légalement, la liberté d’expression est circonscrite : elle ne peut s’étendre jusqu’au discours haineux. Les propos qui choquent, s’ils n’exposent pas autrui à la haine, sont permis.
Il n’est pas souhaitable d’imposer des limites plus restrictives à la liberté d’expression. Milton, dans son combat contre la censure au 17e siècle, soutenait que la vitalité de la politique était tributaire de l’écoute des voix dissidentes. Il importe de ne pas tarir les sources de dissentiment, même si la majorité est contrariée. L’imposition des idées bien-pensantes mène au conformisme et à l’indifférence populaire ; mais, dans le même temps, les idées des citoyens muselés fermentent. Si une idée déplaît, c’est par le débat social, et non par la censure, qu’elle doit être réprouvée. La dissidence est synonyme de courage, d’engagement et de créativité. Souhaite-t-on vraiment se priver de cette énergie en société ?
Le débat nécessite le dialogue, et donc l’écoute de la position adverse. Seulement, on réduit fréquemment au mutisme ceux qui touchent des cordes sensibles. La Maison de la littérature de Québec a annulé (et non reporté!) un événement portant sur la diaspora arabe, craignant que Mme Benhabib offense la communauté musulmane endeuillée. L’expérience de Radio-Canada à l’UQAM sur la liberté d’expression brosse un portrait troublant de la situation dans les universités. On y apprend que certaines associations étudiantes vont jusqu’à interdire tout conférencier proférant des propos qu’elles jugent « inacceptables ». À McGill, en avril 2016, des détracteurs de Jean Charest l’ont bâillonné à sa conférence. Une importune colportait sur son affiche le message suivant : « Ne pas limiter l’expression des communautés. » Ironie du sort : l’ancien premier ministre, brimé, les a invités à…exprimer leurs idées au microphone.
Les seules manifestations de fraternité ne suffiront pas pour enrayer l’islamophobie. Il faut également engager la discussion avec les gens qui expriment leurs craintes à l’égard des musulmans. « De toutes les superstitions, la plus dangereuse, n’est-ce pas celle de haïr son prochain pour ses opinions ? », demandait Voltaire il y a deux siècles et demi. Aujourd’hui, j’ose croire que la pratique de la religion de son choix sans stigmatisation aucune fait partie de nos fameuses valeurs. J’estime donc que le devoir civique de lutter pour cette valeur incombe aux citoyens québécois.
Le débat identitaire doit avoir lieu dans la tolérance. C’est par les échanges non réprimés entre les communautés que les Québécois pourront concourir vers cet idéal.