Une personne insulaire est une personne venant d’une île. Cependant que se passe-t-il lorsque cette île est dans la tête ? L’insularité identitaire, c’est un état d’esprit. Un océan qui nous sépare des autres et s’apparente donc à une certaine forme d’isolement. Parce que oui, qu’on se le dise, une île, c’est un environnement isolé dans une certaine mesure. Il faut user de moyens de transports particuliers pour s’y rendre, c’est donc plus difficile d’accès. Bien que cela ne veuille pas dire qu’elle n’en vaille pas le détour.
Qu’est-ce qui caractérise une personne insulaire ? C’est l’isolement par rapport à autrui. Ne pas se sentir comme appartenant au continent qu’est le groupe social. Alors on est comme une île un peu à part, et on fait ce que l’on peut pour rester debout. Pour avoir vécu une grande partie de ma vie sur un petite parcelle de terre au milieu de l’océan, je comprends que la diversité du continent puisse être effrayante. Tellement de possibilités apparaissent : comment savoir quelle direction prendre ?
L’île est différente du reste du continent. Même si certains attributs sont similaires, l’île en aura une version qui lui est propre. Une version qui lui correspond plus, qui montre sa distinction avec le reste du continent. C’est ce sentiment d’exclusivité qui donne sa force à l’île. L’insulaire est souvent fier de son appartenance, puisque c’est le trait principal de son originalité, c’est là-bas qu’il s’est construit.
Quelle réalité ?
Ne nous voilons pas la face : il n’est pas toujours simple de vivre sur une île. On n’a pas toujours accès aux mêmes avantages que sur le continent ; on est en quelque sorte coupés du monde. Comme si on ne vivait pas dans la même réalité. Et c’est là que la distance avec les autres se crée. On n’a pas l’impression de vivre dans le même monde, on s’en coupe, parce que l’on se sent trop différent. L’autarcie insulaire fait en sorte que les soucis du monde extérieur paraissent étouffés, comme s’ils n’existaient pas. C’est un peu comme si ça nous collait à la peau, il y a des éléments de cette insularité que les autres ne connaissent pas. Et ça nous rattrape dès que l’on quitte l’île. Qu’on le veuille ou non, elle reste au fond de nous, que l’on soitgéographiquement présent ou non.
De l’autre côté de la rive
« Excuse-moi ? Est-ce que je peux te poser une question ? C’est un peu indiscret de ma part, mais tu viens d’où ? Parce que c’est la première fois que j’entends un accent comme le tien. » Parce que cet accent n’est pas une norme ici. Parce qu’il choque, qu’il intrigue. Parce qu’il caractérise ce que l’on est, qu’il est comme une étiquette sur une personne. Les continentaux isolent cet attribut parce qu’il est différent de celui qu’ils connaissent, mais est-ce que c’est ça qui va permettre de juger qui est la personne ? Pardon, il serait peut-être préférable de dire : est-ce qu’un accent définit une personne dans sa totalité ?
En fait, les individus issus d’un groupe majoritaire — ici, les continentaux — contribuent à l’insularité identitaire de l’insulaire. Et pourquoi ? Parce que nous avons tendance à grouper les individus par catégorie, selon certains critères : la nationalité, le milieu social, le domaine d’étude… Et nous le faisons souvent sans même nous en rendre compte. La nature humaine nous pousse à aller vers des gens qui nous ressemblent, parce que c’est rassurant. Toutefois, qu’en est-il de ceux qui ne trouvent pas de ressemblances avec les autres ? Parce que oui, nous parlons peut-être la même langue, mais nous n’avons pas le même accent, donc, nous appartenons à des catégories différentes. Pour une question de prononciation. Parce que ce rapport à la langue est différent, on a un regard différent sur cette exception. La sociabilité humaine innée nous pousse à aller vers ce qui nous ressemble. Et comme l’on remarque les différences en premier, on crée la distance.
L’île est coupée du continent par l’océan. Pourquoi est-ce que c’est cette partie de terre en particulier qui se retrouve isolée ? C’est un simple hasard géographique, mais il n’est pas immuable si l’on prend le point de vue identitaire. Si l’on se rend au plus profond des abysses, il y a des points où une matière solide est présente, qui relie le support de l’île à celui du continent. La séparation n’est donc pas totale. Ou même en surface, il y a des ponts qui peuvent être construits pour relier les parcelles de terres que la mer vient séparer.
L’isolement est-il réel ?
En effet, il est facile de créer des liens entre différentes catégories. Et puis, ça nous permet de mettre un peu d’ordre dans ce qui nous entoure ; on se repère plus facilement dans un univers bien rangé. Mais même si l’on regarde les frontières entre deux pays, on remarque immédiatement que certains éléments se retrouvent de part et d’autre. Ce n’est pas parce qu’un pays s’arrête et qu’un autre commence que l’identité n’est plus la même, c’est plus compliqué que cela. Alors pourquoi est-ce que l’on s’obstine à mettre les individus dans des « boîtes », selon le milieu dans lequel ils ont grandi, le métier qu’ils exercent, les centres d’intérêts qu’ils ont…Si quelqu’un grandit dans un milieu rural plus isolé, est-il obligé d’avoir une grosse camionnette, de porter des chemises à carreau, de boire une pabst tous les soirs en rentrant de son travail à l’usine ?
Ce processus implique en effet de donner une définition précise à quelqu’un. Mais est-ce que chacun est réellement compatible avec une seule définition ? Ne peut-on pas qualifier une personne avec une infinité de possibles ? Pourquoi est-ce que l’île serait-elle différente du continent sur tous les plans ? Donner une définition, dans un sens, c’est isoler. Est-ce que la réclusion vient de l’individu, ou du groupe dans ce cas ?
Pluralités uniques
L’identité ne peut pas être vue comme une simple étiquette que l’on colle à quelqu’un. L’identité dépasse toutes les frontières, qui peuvent facilement être franchies si l’on s’en donne les moyens, qu’on se le dise. Une personne insulaire vient d’une île. Mais si elle choisit d’en sortir, peut-on rester sur cette première définition ? Après tout, s’il y a des frontières, c’est qu’elles sont faites pour être franchies.