Le 15 mars dernier, une tempête de neige paralysa une bonne partie du Québec. Le 16 mars au matin, les bulletins de nouvelles nous apprennent qu’à peu près une centaine d’automobilistes ont passé la nuit coincés dans leur voiture sur l’autoroute 13 à Montréal. Forcément, quelqu’un quelque part n’a pas fait ce qu’il aurait dû faire. La gestion catastrophique de la situation par les différents paliers du gouvernement est alors incontestable.
Quelques jours plus tard, le 20 mars, très peu de réponses sont fournies et les politiques s’accusent mutuellement. Andrew Potter, alors directeur de l’Institut des études canadiennes de McGill, prend sa plume pour non seulement critiquer la situation et ses acteurs, mais la société québécoise entière.
De mauvais goût, excessif, généralisateur, et surtout irréaliste, l’article en question, « Comment une tempête de neige a exposé le vrai probleme du Québec : un malaise social » est tout sauf raisonnable. Son point de vue est celui d’un non-québécois qui habite la province depuis huit mois à peine. Il est difficile de comprendre comment le professeur est arrivé à un tel constat. Cette réflexion mérite d’être approfondie, mais les réponses étant seulement du ressort de M. Potter, une spéculation imaginative de sa pensée serait injuste.
Cependant, l’autre tempête, la médiatique qui suivit la publication de l’article soulève plusieurs interrogations et mérite que l’on s’y attarde. En premier lieu, à qui a profité l’affaire Potter ? Aux politiciens québécois. En effet, car sans le savoir, Andrew Potter a tendu la perche parfaite aux politiciens. Ces derniers on trouvé dans son article l’occasion parfaite pour faire diversion de leur gestion désastreuse de la tempête du 15 mars. Nous aurons vu ces politiciens se bousculer devant les médias pour critiquer cet article alors que certains de ces mêmes politiciens sont restés de marbre devant des discours qui frôlent parfois le racisme et la misogynie, entre autres.
L’indignation au Québec est sélective. Elle n’est utilisée que lorsqu’elle peut servir de paravent à des politiciens mal intentionnés. À titre d’exemple, de nombreux politiciens sont restés muets lors des récentes dénonciations d’agressions sexuelles dans les universités, dont McGill notamment.
Les personnes en position de pouvoir peuvent-elles s’exprimer en leur nom lorsqu’elles représentent une institution ?
L’affaire Potter soulève un autre enjeu important : les personnes en position de pouvoir peuvent-elles s’exprimer en leur nom lorsqu’elles représentent une institution ? Selon les dires de la rectrice de l’Université McGill, Mme Suzanne Fortier, dans un article du Globe and Mail, la prise de position doit être limitée dans ces cas-là. Selon elle, le rôle du directeur de l’institut n’est pas de « provoquer la discussion, mais de l’encourager » et elle nuance sa position en expliquant que si Potter s’était exprimé en son propre nom, plutôt qu’au nom de l’école, « rien ne serait arrivé ». D’autre part, Mme Fortier défend aussi la démission de M. Potter. Selon elle, le rôle de l’institut est de rapprocher les gens, pas de les diviser, ce qu’a fait l’article de l’ex-directeur qui conserve tout de même son poste de professeur au sein de l’institution. Pour l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU), la position de la rectrice porte atteinte à la liberté académique des professeurs qui occupent un poste administratif au sein des universités. L’ACPPU demande à l’administration de McGill de lui « fournir de plus amples détails sur le rôle qu’elle a joué à la suite de la controverse provoquée par la publication d’une chronique d’opinion ».
La position de l’Université est délicate, car d’un côté elle se retrouvait face à des politiciens en quête de bouc émissaire, et d’un autre côté, un public habitué à se faire dire par les médias que le ROC (Rest of Canada) déteste le Québec. Il est raisonnable de comprendre pourquoi McGill, une institution anglophone dans une province francophone, souhaite éviter de devenir l’image du Québec bashing.
Implicitement, les politiciens condamnent les universités, et leurs professeurs, à rester dans leurs bonnes grâces afin d’éviter d’autres coupes majeures.
D’autre part, les coupes répétées et excessives du gouvernement provincial dans les subventions aux universités a créé une précarité sans précédent pour les institutions. Implicitement, les politiciens condamnent les universités, et leurs professeurs, à rester dans leurs bonnes grâces afin d’éviter d’autres coupes majeures. La perte de donateurs est aussi un autre facteur important à prendre en compte. Ainsi, entre la survie économique ou la perte d’un directeur mal avisé, le choix n’est pas difficile.
Dans un monde où McGill ne mange pas dans la main du gouvernement ‑une main qui peut se fermer à tout instant – l’Université ne se serait peut être pas dissociée de son ex-directeur. Les erreurs dans les sciences humaines sont importantes car elles permettent la critique. L’Université offre un cadre défini dans lequel des opinions divergentes peuvent s’opposer, se répondre, s’étudier afin de mieux évoluer. En enlevant ce cadre, nous nous retrouvons avec la pression de ne dire que ce que les gens veulent bien entendre. On tombe alors dans un politiquement correct pervers qui n’offre aucune place à la dissension. Les opinions qui en résultent deviennent alors plates, voire javellisées afin de mieux rentrer dans le moule pré-établi. Toute forme d’évolution des discours devient alors impossible.
Les deux grandes solitudes, le ROC et le Québec sortent donc de cette tempête encore plus divisées et notre discours public plus fragilisé que jamais.
L’affaire Potter nous a démontré les effets pervers de la précarité économique qui est imposée depuis quelques années aux universités québécoises. À la question est-ce que seuls les Québécois peuvent critiquer le Québec ? Non, absolument pas, mais en jetant en dessous du bus chaque non-Québécois qui s’y risque, on limite le débat et on aseptise à notre tour le dialogue public. Cette exclusion violente de tous ceux qui ne sont pas québécois à nos questions sociétales ne fait que reproduire les censures systématiques que les politiques d’austérité causent à nos universités. Les deux grandes solitudes, le ROC et le Québec sortent donc de cette tempête encore plus divisées et notre discours public plus fragilisé que jamais.