Mon passage au Délit, il y a quelques années, a coïncidé avec mes premiers pas dans le journalisme. Je me suis ainsi retrouvé commentateur politique à un moment où j’envisageais plutôt une carrière dans les cabinets ministériels.
Au Délit, j’ai intégré d’emblée une équipe de rédaction animée par sa modeste mais intangible ambition de produire et diffuser un hebdomadaire en langue française au sein d’une université anglophone. Car le Délit c’était avant tout cette exigence d’offrir une tribune aux étudiants de tous horizons qui avaient en commun de s’exprimer en français : Québecois, Français, Maghrébins, tous réunis autour d’une appartenance linguistique et, plus largement, d’une empreinte culturelle. Nous revendiquions une sorte de dissidence malgré les critiques et railleries que nous essuyions de nos confrères du McGill Daily et du McGill Tribune convaincus qu’il n’y avait point de salut en dehors du canon de pensée libéral anglo saxon.
Au Délit, j’ai pris le goût de l’écriture journalistique, celui de toujours adopter un regard original et critique sur les événements du monde. J’y ai saisi aussi, sur un plan plus pratique, le poids des contraintes et des échéances que suppose la publication d’un journal papier. Je publiais des éditos sur la politique et les affaires internationales, mais j’officiais aussi en tant que secrétaire de rédaction de la section art et culture. Un ensemble de responsabilités qui me convenait parfaitement. Mon expérience au délit m’a également appris à maîtriser l’art de l’interview, consistant à concevoir et poser des questions incisives et déstabilisantes en vue d’obtenir des réponses aussi sincères et spontanées que possible.
Je me remémore aujourd‘hui les soirées interminables de bouclage du journal, le lundi… Ces chroniques qu’il fallait relire cent fois, ces articles de nos correspondants qu’on attendait fébrilement, ces mises en page laborieuses sur Indesign, mais aussi les bières à trois heures du matin lorsque l’édition du lendemain était enfin envoyée à l’impression.
Cette expérience a sans aucun doute guidé mes choix ultérieurs ; mûri mon goût pour le journalisme. J’ai notamment mis en avant cette expérience pour être embauché aux Echos à Paris où j’ai d’ailleurs renoué avec cette atmosphère indescriptible et unique des salles de rédaction : le désordre permanent, le bruit des claviers, les appels incessants des attachés de presse, et les centaines de pages de journaux qui jonchent le sol.
L’ironie de l’histoire a fait qu’aujourd’hui j’écris à NY et en anglais pour VICE, un média d’origine montréalaise qui se rapproche du Délit à de nombreux égards. Je retrouve, avec des nuances, cette ligne éditoriale progressiste, cet esprit alternatif et cet engagement pour la diversité qu’incarne le Délit.
Mon premier article au Délit portait sur le polémiste Eric Zemmour et l’amorce de la radicalisation de la droite française. Un article qu’il serait nécessaire d’actualiser tant les idées défendues par Zemmour sont devenues majoritaires en France et dans d’autres pays occidentaux. C’était il y a cinq ans, à l’aube de l’élection de François Hollande … Une éternité !
Il n’y a rien de plus gratifiant que de publier un article en son nom propre. Le Délit m’a donné cette première opportunité. Je lui en serai toujours reconnaissant.